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2.0

Chapitre 2: Les nouvelles griffes de l'âme (1993-1995)

14 Juillet 2013 , Rédigé par D. H. T.

Louanges au divin et gloire à ses anges. Que les âmes de toutes les créatures, et à lui aussi l'auteur de ces lignes, leur soient confiées, en vue de la protection de toutes les richesses spirituelles s'efforçant de guider les êtres sur la voie du bonheur, du partage et de la compassion. Gloire à celui qui a révélé, malgré l'existence du mal qui désole et qui afflige, l'inexistence de forces maléfiques dans l'univers, car il n'y a de principe que bienveillant. Gloire à celui qui a dispersé les serviteurs du malin et leurs assemblées corrompues, remettant les sujets ouverts à la reddition sur la voie de la droiture et de la loyauté désintéressées. Que le divin, souffle de feu tout puissant qui réchauffe les cœurs meurtris, amène les justes à vénérer, dans la conscience et dans l'honneur, le bien-être durable et la santé du corps et de l'esprit, source de la joie de vivre renouvelée, essence de la vérité vraie, absolue mais respectueuse des opinions relatives, relative mais en quête d'absolu dans l'acceptation des différences multiples, avec pour dessein d'apporter amour et confiance à ceux qui, égarés, ont eu tort de voir le mal dans le plaisir, lequel, offert comme une récompense aux justes, soulage la terre de ses fardeaux et redonne courage aux fidèles sur le chemin qui les guide vers le ciel d'où le divin veille, plus majestueux encore que le soleil.

Avec ces mots s'ouvre un chapitre qui vient s'écrire dans les interstices du précédent, privilégiant le point de vue selon lequel le personnage principal, toujours nommé à la troisième personne à l'instar de la figure du narrateur, lui-même œuvre de fiction, avec lequel il se confond totalement ou partiellement, consacre une période de son existence à une retraite monastique, exerçant également des fonctions d'érudit et de bibliothécaire pour le compte d'un royaume situé dans la sphère librement inspirée de la mythologie, mythologie surtout liée, en l'occurrence, à l'ancien monde méditerranéen et plus généralement au vieux continent, l'Europe, ainsi qu'au Moyen-Orient, à l'Afrique du Nord et, dans la mesure où toute l'humanité y trouve ses racines, à l'Afrique subsaharienne.

Avec ces mots il revient sur d'autres formules, attribuées à une prophétesse démoniaque, d'une inspiration syncrétique interprétant, à la manière d'une idiosyncrasie spirituelle ou de dénégation spirituelle, l'héritage stéréotypé de différents courants du satanisme au sein de l'imaginaire collectif à la fois populaire, traditionnel et plus littéraire, plus tardif. On se reportera aux pages d'avant pour mieux en saisir la teneur. Les mots d'ouverture du présent chapitre, eux, se réclament du divin, de la sérénité, de la réconciliation et de la complémentarité par-delà les antagonismes, conception du bien à l'état pur fondée sur l'harmonie entre la lumière et l'ombre, le ciel et la terre, l'homme et la femme. Le désir une fois dédiabolisé, le mystique s'éveille à la conscience de l'expérience amoureuse qu'il va vivre avec une femme non plus perçue comme tentatrice maléfique mais comme complice et partenaire bénéfique pour lui autant qu'il l'est pour elle. C'est de lui et d'elle dont il est question tout le long de ce livre, même si leurs apparences évoluent avec le cours des événements et les ruptures de ton entre les chapitres.

Celui-ci comportera moins d'éléments narratifs qu'au préalable, étant davantage axé sur les pensées qui occupent le héros pendant son périple, surtout au cours de ses journées de recherche et de rédaction à la bibliothèque du monastère, ainsi que par la suite, du temps de son règne avec une reine, son épouse légitime, à ses côtés. Moins romancé à ce stade, l'essai revient donc au premier plan. Il évoluera de l'inspiration théologique et mystique à l'improvisation poétique ou chansonnière, en passant par une analyse plus didactique. Un travail de commande, à l'initiative de la cour, l'occupe d'abord à l'écriture d'une pièce de théâtre religieuse, destinée à être jouée dans le royaume pour diffuser le message des textes sacrés auprès du public populaire tout en faisant office de divertissement. Il abandonnera finalement ce projet, qui sera repris par un autre moine, car lui n'aime ni le théâtre ni l'exubérance mondaine de ce dernier, auxquels il préfère l'intimité de la lecture. En arts de scène, il apprécie les concerts de musique, plus spirituels. Il voit, entre deux eaux, le théâtre comme un abâtardissement de l'art.

Ayant conservé la trame narrative de sa pièce, elle lui sert de point de départ à la rédaction de ses pensées sur la finalité de l'existence. D'un projet désavoué, dont le thème imposé était celui de la rédemption, il perçoit des affinités connexes entre le désaveu et la rédemption non seulement pour cette raison d'ordre contingent, mais aussi parce que le désaveu s'affirmerait comme l'une des conditions sine qua non de la rédemption. Il faut se remettre en question avant de demander pardon, précepte qu'il considère comme fondamental pour toute pensée religieuse et même pour toute manifestation civilisée de l'être humain, que ce soit dans la littérature ou dans l'action.

Plutôt que d'opposer, de manière frontale, la notion de mérite à celle de charité, il envisage la possibilité d'accorder le pardon dès lors que la partie concernée s'engage à réparer ses erreurs ou ses fautes, à offrir un dédommagent jugé adéquat d'un commun accord, à s'excuser et à promettre de ne plus recommencer. Le pardon serait conditionné par la sincérité probante de qui le demande, ce qui est logique. Il n'y a pas lieu de pardonner à l'arrogance, à la persistance dans l'affront, aux écrits attentatoires qui restent, contrairement aux paroles qui s'envolent, ce qui ne suffit d'ailleurs pas à rendre ces dernières plus excusables pour autant.

Ce schéma intentionnel mis à part, le désaveu touche aussi à la reformulation de la pensée, sur le plan technique autant que sur celui des idées. Cette période monastique porte à la fois en elle son affirmation et son autocritique, visant une certaine exactitude dans la conception du divin et une certaine justesse dans le choix des mots pour en parler. Il s'agit d'éviter les écueils de la naïveté sous couvert de vérité, de l'euphorie sous couvert de ferveur, du manque de subtilité sous couvert de pureté, de la rigidité excessive sous couvert d'intégrité. Il en va de même concernant la métaphysique spirituelle ou les rapports entre les hommes et les femmes. Aborder tel ou tel sujet d'ordre intime pour des motifs différents, dans la continuité ou non d'une même évolution intellectuelle, requiert la référence permanente à une éthique du discours dont les exigences se rapportent à la maturité du propos, à la sobriété de l'expression, à la finesse de l'analyse, à la place laissée au doute.

L'expérience de la méditation, car la méditation est une expérience, l'amène après coup à s'appuyer sur une méthode critique visant à disséquer les truismes et les lieux communs de son propre cheminement intérieur. La célébration verbale de l'élan prophétique se verra donc freinée par l'acuité de l'observateur distant qui, à la manière d'un enquêteur consciencieux envisageant l'objet de ses investigations sous tous ses angles et sous toutes ses facettes, produit soi-même ses propres garde-fous.

Quand il devient son propre lecteur comme s'il s'adressait à quelqu'un d'autre en écrivant, il entend suggérer les raisons qui l'ont amené à synthétiser en un même chapitre et sous un même titre différents textes destinés, dès l'origine, à ne faire qu'un, tout en explicitant la notion de réparation des torts éventuels causés aux yeux du divin et de toute intelligence. Il s'attachera à faire preuve d'une clarté suffisante, s'invitant soi-même, par amour de la vérité et compte tenu de la brièveté relative du propos, à bien en peser chaque mot. L'évolution en question a déjà fait l'objet d'une analyse assez élaborée.

Le divin sait différencier le blasphème de la pérégrination parfois tourmentée de l'individu sur la voie de l'accomplissement. Il connaît la valeur du pardon et laisse à chacun, à l'heure des choix les plus personnels effectués en conscience, la part de responsabilité propre qui lui revient. Le travail formel des auteurs et des artistes occupe une place particulière dans le domaine de la spiritualité, la question du message éventuel nécessitant une approche spécifique, sans rapport direct avec la prédication. Ces intervenants prennent connaissance de plusieurs niveaux de lecture qu'il leur appartient de rendre compatibles les uns avec les autres à un stade avancé de la réalisation d'un projet donné. Ils peuvent, par exemple, s'intéresser aux significations dans l'écriture, puis s'interroger sur les rapports entre ces significations et leur adaptation aux autres arts.

Une association d'idées qu'ils jugent pertinente leur permet d'établir une structure conceptuelle dont la spiritualité serait le terme, débouchant sur des principes de métaphysique et des règles de vie dont ils font plus ou moins ouvertement une religion parallèlement à leur art. Ils ont besoin d'expérience pour déterminer avec précision les limites raisonnables de cette religion, ce afin d'éviter les contraintes inutiles en prévision d'une aspiration légitime à la liberté. Il ne s'agit pas davantage de nier le message de certaines créations que de le survaloriser. Trop de religion peut conduire au rejet de la religion. De plus, les convictions d'autrui représentent la limite externe des convictions de soi.

Le désaveu partiel affectant certains textes passe, on l'a vu, par un manque de motivation lié à tel genre littéraire, ici le théâtre, mais aussi par un désir de discrétion, de se consacrer à sa région plutôt qu'au royaume entier, de toucher un public restreint, d'échapper à la tentation du mercantilisme excessif autant qu'à celle de la médiatisation outrancière, revendiquant son droit de ne pas prendre part à une logique de développement économique, de croissance financière, de communication de masse, autant de termes particulièrement appropriés à une période marquée par l'héritage des industries, touchant jusqu'à la production et à la vente des livres eux-mêmes. Ces anachronismes du langage montrent, par ailleurs, toute la subtilité du lien d'identification entre le narrateur et le personnage, l'un vivant plutôt à une époque présumée moderne et historique, l'autre à une époque présumée ancienne et mythologique. Ce lien subtil s'explique par l'atemporalité spirituelle autant que par la nostalgie, avec toutes les réserves d'usage. La nostalgie de l'ancien temps idéalisé tient moins au fait que les âges reculés de l'humanité auraient accompli tel ou tel idéal qu'au fait que le nostalgique aimerait revenir en arrière pour accomplir au bon moment les idéaux que l'humanité n'a jamais accompli.

Désavouer une œuvre n'est jamais facile mais relève d'une intention compréhensible. S'appuyer sur une œuvre désavouée pour écrire présente un autre degré de difficulté. Cela implique que l'œuvre n'est ni aussi désavouée, ni aussi écrite qu'elle en a l'air. L'auteur tient compte du rôle de pont qu'elle a joué entre deux périodes de sa vie, assumant un écart relevant toujours de l'anachronisme, parce qu'il a bien fallu en passer par là et qu'il convient d'aller jusqu'au bout du geste, lequel conserve une part d'actualité, résiste à l'épreuve du temps. Fasciné par la causalité mise à jour entre le désaveu et la rédemption, il tient le sujet de sa pièce, le pardon accordé à l'ange déchu, pour un exemple parfait.

Ce qui pose problème dans cette figure de l'ange déchu telle que développée au fil des actes et des scènes, de libre inspiration luciférienne et chrétienne, c'est le sentiment d'avoir surmonté toute révolte, sentiment donné comme l'élément déclencheur du pardon divin. Le héros se présente comme un ascète reconverti en artiste, venu au monde pour apporter la lumière qui l'anime et qui libère son âme avant une mort qu'il attend sans impatience. Il se demande s'il doit mener une vie austère, faite de méditation, ou s'investir dans l'art. C'est dans la méditation qu'il trouve la réponse, envisageant l'art comme l'instrument même de la dévotion. Quittant une pièce vide, sa retraite, il redécouvre l'écriture et la musique, qu'il identifie à des manifestations de la grâce divine.

C'est là qu'il affirme faire le deuil de toute révolte. C'est là aussi que se trahit la première faille théologique significative du propos, accentuée par l'exaltation du moment. Il n'existe pas de bonheur parfait sur terre, aucune adéquation absolue entre les circonstances spatiales, temporelles, et l'être humain qui développe ses activités de survie ou de divertissement. La béatitude existe encore moins en ce bas monde, en ce qu'elle suppose, plus qu'un bonheur parfait, un bonheur parfait à l'abri des épreuves du temps et de l'espace, en accord indicible avec l'au-delà dans lequel le croyant se projette. Ni bonheur parfait, donc, ni béatitude. Même le bonheur partiel tend à se raréfier avec la déchéance des civilisations, qui n'ont jamais été idéales.

L'injustice dérive indirectement de l'imperfection de toute vie incarnée. La révolte s'affirme parfois comme une réponse légitime à l'injustice. Prétendre que le pardon du divin accordé à l'ange déchu implique de s'affranchir de toute velléité de rébellion, comme s'il était question d'une tendance maléfique à proscrire, revient à définir le divin lui-même comme exempt de toute colère et de toute intention de remettre quoi que ce soit en cause, ce qui contredit le dynamisme universel, envisagé sous l'angle de la création comme sous celui de l'évolution.

Quitte à adopter, avec des arguments judicieux, une vision moniste du cosmos, autant se rallier alors à celle d'un seul dieu aux multiples facettes, tantôt miséricordieux, tantôt vengeur, intégrant la fonction de l'ange déchu ainsi nommé à titre de représentation symbolique des répercussions punitives perçues comme telles par le croyant déiste, dans le cadre d'une justice transcendante. En ce sens il y aurait, symboliquement, récit d'une rédemption. La main qui caresse la femme ne peut prétendre être en même temps la main qui bat la femme, mais la main qui caresse la femme peut prétendre être en même temps la main qui bat l'agresseur de la femme. Si, en revanche, il était question d'une simple acceptation du monde et de la vie, alors il faudrait l'expliciter et montrer en quoi cette acceptation paierait un lourd tribut aux souffrances potentielles, puisqu'il n'y a pas, humainement, de paradis sur terre.

L'ange déchu salue l'archange en ce monde de lumière, prometteur de grands projets, d'actions célébrées par la foi, dépassant le cap infernal, assimilant tout être et toute chose au divin. L'ange déchu salue la courtisane compassionnelle, celle qui accompagne le martyre et ne reçoit la première pierre que de celui qui n'a jamais péché, lui-même reconnaissant le pouvoir de séduction qu'elle exerce sur lui, le mystère de la dualité entre l'amour divin sans objet et l'amour charnel qu'elle lui inspire. L'ange déchu salue le compositeur de musique sacrée, le joueur d'orgue, Bach probablement, l'encourageant à demeurer, dans l'éternité, l'immense compositeur qu'il a toujours été, déplorant la décadence de la musique scolaire tout en célébrant l'avènement de l'improvisation. L'ange déchu salue la figure paternelle ayant accueilli le divin sur terre, père adoptif du prophète acceptant que ce dernier devienne à son tour le patriarche de l'humanité.

Le voilà seul à présent dans une chambre d'hôpital, où se révèle toute l'ironie des rapports entre la psychiatrie moderne et les dérives, pacifiques ou guerrières, du retour au sentiment religieux, ici simple manifestation d'une rupture existentielle, de par l'inadéquation entre le discours d'apologie d'un monde parfait et la présence en ce monde imparfait d'un apologiste en mal de discours. C'est le lieu et la place de l'interrogation archétypale du martyre, pourquoi son dieu l'a-t-il abandonné? N'a-t-il pas trouvé la lumière à la sortie de l'enfer? Pourquoi le seigneur ne lui a-t-il pas accordé une vie plus longue au terme de son supplice?

Il trouverait la réponse chez Dante, s'interrogerait moins en vue de la divine science que pour exprimer son tourment. L'enfer, le purgatoire et le paradis se sont succédés dans son âme, dont l'évolution s'arrête avec son incapacité à accueillir la béatitude universelle. Il doit donc recommencer sa vie, revenir sur terre, dans le Sud Ancien, là où tout a démarré. Il a tout oublié, comme les autres. Ils étaient l'ange déchu, l'archange, la courtisane compassionnelle, le compositeur de musique sacrée, le père adoptif de l'homme divin. Ils ne sont plus que des êtres humains dans un hôpital. Cependant ils se sont déjà vus et seront encore amenés à se revoir.

Ce qui rend malade le patient noir et blanc, un autre pensionnaire de l'hôpital, n'est pas le fait qu'il s'identifie au yin et au yang, mais le fait qu'il décèle un antagonisme systématique entre ces deux principes pourtant complémentaires, dont l'harmonie exclut le mal par définition. Près d'un jeu d'échec géant dont il se croit le maître, il se lamente à son tour. Le roi blanc a perdu sa couronne, le vent du sud l'a emportée jusqu'à l'Arctique qu'elle illumine à présent. Il doit s'absenter pour la rendre à sa majesté, abandonnant provisoirement la surveillance de l'échiquier céleste. Ce faisant, il va courir un grand danger, car les forces risquent d'entrer dans un conflit fatal. L'univers en serait déstabilisé à jamais. Quelle est pour lui la priorité? Il ne peut laisser le roi blanc sans sa couronne, ni l'échiquier sans son maître. Que faire? Le jeu est déjà perturbé, car sa majesté porte sur elle le signe de l'abdication.

Il doit se rendre dans l'océan nordique, dont le pôle détient actuellement la lumière du pouvoir, et restituer celle-ci à son véritable propriétaire. C'est un long voyage, une expédition qui peut lui arracher la vie. C'est sa fonction, c'est son choix, ce qui détermine son existence sur terre. S'il ne fait pas son devoir, le divin le punira. Pourtant, il n'a jamais voyagé. Pour lui, le monde se limite aux cases de son échiquier, et les individus aux pions qu'il manipule au-delà de l'espace et du temps. Il réalise à présent combien forte est sa souffrance. Il paie chaque jour vingt-quatre heures de folie pour un instant de lucidité. Le divin l'a enfermé entre ces murs pour veiller sur l'âme du monde, l'essence des valeurs. Il l'a privé de sa liberté, mais lui a tout donné.

La patient noir et blanc est peut-être fou dans sa trop grande sagesse, car s'il maîtrise la définition des choses qui l'entourent, il est dans l'ignorance au sujet de son propre esprit. Il doit y avoir un moyen de sortir de cette prison. A-t-il un rôle ici bas aux yeux du ciel, ou ce jeu n'est-il qu'un don pour le distraire de son tourment? On peut l'interroger sur les écrits, sur la musique, sur les arts, sur l'histoire des idées et sur l'histoire des hommes, et il dira tout. Mais quand on lui demande comment il se sent, le silence le gagne, l'obsède et le pétrifie. Il est ici, et il y reste quoi qu'il fasse. Mais il a besoin d'un ici sans frontière, sans juge, sans gardien.

Il a souvent ces rêves étranges où il se voit au centre d'une salle pleine de portes. L'atmosphère du lieu, à la fois calme et morbide, suffit à provoquer l'angoisse au sein de sa pensée. Puisse-t-il mourir au Pôle Nord, puisqu'il va voyager, ou au moins en Suède, apaisé par la raison féale du chevalier Descartes. Le divin se sert des fous pour éclairer les sages. Il est le moyen de la sagesse divine, mais il n'est pas son but. Il lui faut croire en sa folie, et voir dans cette folle croyance le salut de son esprit. Les portes sont ouvertes, l'occasion lui est donnée.

L'ange déchu et l'archange attendent eux aussi le moment de leur délivrance. Les deux patients aperçoivent le jeu d'échecs géant et décident d'entamer une partie pour passer le temps. Deux médecins, à leur tour, font leur apparition. Ils ramènent le patient noir et blanc sous bonne escorte, tout en annonçant aux deux autres la bonne nouvelle de leur prochaine sortie, en principe définitive, de l'hôpital. Mais ils ont eu tort de toucher à l'échiquier. Le maître autoproclamé du jeu accorde à ce dernier une immense valeur symbolique. Il porte dans ses mains la couronne du roi blanc. Va-t-il la rendre à sa majesté? Cette couronne provient de la grande salle aux murs blancs, pleine de lumière, dont le plafond est une vitre. Il nomme cette pièce le Pôle Nord, un trait de génie, d'une souffrance telle qu'elle l'empêche de s'adonner à la moindre création. Adieu, monde sans foi. Cette fois il s'ouvre les veines, et emporte avec lui dans les enfers ceux qui ont manipulé, pendant qu'il était en voyage, les forces fondamentales de l'échiquier. Il est mort. De son bras gauche coule du sang blanc, de son bras droit coule du sang noir.

Seul sur une montagne, l'ange déchu s'essaie à l'écriture, sa nouvelle vocation. Il doit développer ce pouvoir créatif. Le projet ne sera pas toujours facile à réaliser, mais sera récompensé par la beauté du geste. Le suicide du patient noir et blanc lui a laissé un souvenir dérangeant. Lui doit convertir dans l'art l'impact de cette impression sur sa mémoire, malgré les ratures sur son cahier, malgré les doutes qui l'assaillent. Et s'il n'avait rien à révéler? Si la vérité se taisait en lui avant même de l'avoir rencontré? C'est le début d'une nouvelle vie pour son âme, avec du passé une immense intuition. Que la musique l'aide à trouver les mots justes.

Il lui faut une muse, qui serait pour son esprit un miroir de lumière divine. Toutes les muses sont des femmes. Il doit rencontrer la femme la plus révélatrice de son propre talent. Au-delà de son but spirituel, il aspire à connaître l'amour exclusif, où il devine la source de l'amour absolu. La passion pour la femme serait d'essence divine et paradisiaque. Lui s'attachera à trouver la solution. L'isolement dans la montagne lui a donné la volonté d'agir. Son action ne sera pas le fait d'un vouloir excessif. Il suivra dans la foi le cours de son existence, et celle qu'il espère viendra à lui au moment où il s'y attendra le moins. Pour commencer il atteindra le sommet de la montagne, puis redescendra de l'autre côté, marchant jusqu'à la mer. Il sera le soleil, elle sera la nature.

Guidé par une triste complainte, il se dirige vers elle, la courtisane compassionnelle, qu'il semble connaître depuis des siècles. Elle n'a pas le cœur à entendre ses compliments. Son frère s'est suicidé. La vie doit cependant continuer. D'autres, des pleureuses, finiraient leur vie au couvent. La religion paraît dérisoire face à la souffrance d'un être cher. La véritable foi se situerait au-delà de toutes les religions. Lui s'est laissé guider jusqu'à elle dans le seul espoir de pouvoir faire sa connaissance. Elle doit pourtant le quitter provisoirement, le temps d'accomplir son deuil. Ne peut-elle assumer en sa présence ses conflits intérieurs? Il la reverra. Cette entrevue trop brève n'était qu'un préambule.

Le compositeur de musique sacrée sait lire dans les âmes, s'interroge sur la légitimité du suicide. L'ange déchu, tout à sa nouvelle condition, ne voit pour l'instant que la beauté de la vie. Plus tard il redécouvrira que tout n'est pas merveilleux. Les deux hommes, sur le chemin, échangent leurs idées philosophiques. Pendant ce temps, la courtisane perçoit l'apparition du spectre de son frère, le patient noir et blanc. La voyant tentée par les avances de l'ange déchu, il tient à la prévenir. Le héros et l'archange représentent deux facettes de la puissance désordonnée qui a perturbé la dualité de l'échiquier sacré. Il attend d'elle un acte de vengeance salutaire. Du principal responsable de sa mort, elle devra crever le cœur avec les épines de la couronne du roi blanc. Son frère est peut-être fou, contrairement à elle, qui ne fera rien de ce qu'il attend d'elle.

Dans un château, l'archange accueille son invité, le compositeur. Ce dernier apporte des nouvelles de l'ange déchu, lequel s'est retiré chez lui, dans la solitude. La courtisane, elle, serait partie vivre dans la forêt profonde de l'Amérique du Sud, désormais vouée à ce qui reste de la vie sauvage. L'archange s'est incarné en un seigneur du monde, vivant avec son épouse dévouée, qui a étrangement choisi de faire office de servante. Leur domaine, à l'instar du vieux continent, sombre dans la décadence. Les artistes eux-mêmes se laissent vivre. Le seigneur tombera donc avec sa cité, et les décombres de son château seront son lit de mort. Le cannabis poussera dans sa chambre, ses domestiques fumeront des joints, et ses enfants ignoreront que les rêves ont un pays.

Les hommes peuvent avoir raison les uns aux yeux des autres tout en ayant tort aux yeux du divin, puissants pour régner ici bas mais faibles devant le ciel, tuant leurs semblables parce qu'ils sont déjà morts. Telle est la révélation dont le prophète se croit investi, car il n'a pas encore fait la part des choses, la différence qui sépare la foi de la religion, la notion de bon escient et les motivations variables pouvant expliquer contradictoirement un même acte, comme celui d'infliger la mort à autrui ou à soi-même. L'archange déchu se souvient de tout. Les flammes de la révolte ont précédé sa vie. Il a refusé l'humanité. Le divin lui aurait ouvert les yeux quant à l'acceptation de la vie, brisant le cercle infernal qui le retenait prisonnier, sur la terre comme au ciel. L'écriture traduirait une quête d'éternité. La courtisane reviendra à lui, au terme de son voyage initiatique. Lui finira par voir le monde comme si tout allait bien, comme si aucun martyre n'avait jamais été crucifié.

Il y aurait une certaine abnégation à définir la sagesse par l'absence de toute discussion de la parole des prophètes et du contenu des livres dits sacrés, jusque dans le fait de se fixer la divinité pour but suprême, de réduire l'art à la religion, de n'avoir pour ennemie que la souffrance, comme si tout le monde pouvait s'entendre avec tout le monde, vision triplement illusoire du sage, de l'artiste et du guerrier incarnés par le messager mystique. Toutes les fausses évidences théologiennes qui lui viennent à l'esprit se heurtent, en même temps qu'elles s'écrivent, à une conscience critique voire sceptique dont il n'arrive pas, sur le moment, à formuler les termes. Il lui faut donc faire avec le reste, la spiritualité de bazar, dans un premier temps. Chaque élément fixé sur le papier lui donnera du fil à retordre avec le recul. Quand les nœuds se révèlent particulièrement simplistes, c'est là, grand avantage ceci dit, que le travail demande un moindre effort. En même temps, il n'est pas inutile de souligner que certains des livres se situant à l'origine des civilisations ont adopté eux-mêmes le style de la synthèse parfaite et du pur enchantement devant l'ordre universel, fermant parfois les yeux sur la bassesse triviale de l'humanité. Ou alors, c'est un oubli du lecteur.

Les aphorismes de l'art prophétique prendraient pour point de départ l'idée selon laquelle l'homme acquis à la cause du divin en ce monde accepterait les contrastes de l'univers dans lequel il vit, selon une tendance à aimer l'ordre du monde dans son ensemble, à travers ses différents aspects variables, embrassant le ciel et la terre, s'efforçant de vivre heureux ici et maintenant. Ce serait là l'une des conditions de la liberté du croyant, qui échapperait ainsi à l'enfer de l'ostracisme et de ses contraintes aliénantes. Les êtres libres s'attacheraient à leur bien-être tout en s'affligeant de la souffrance endurée par autrui. Ils afficheraient une préférence pour les pensées simples et se détourneraient des doctrines tortueuses, associées à des avatars démoniaques. La souffrance serait la principale cause des mauvaises actions. La voie de la guérison du corps et de l'esprit préserverait alors l'humanité des intentions troubles et cruelles, de la corruption qui gangrène les milieux du négoce et de leurs affairistes agressifs. Le développement personnel, fort de ses vertus thérapeutiques, se présenterait comme la solution aux problèmes engendrés par le mensonge, par l'ironie et par la vanité de l'agitation urbaine, vision du monde négligeant le facteur des disparités économiques comme explication possible de l'injustice et du crime. L'humain, selon la prophétie, ne pourrait se passer du divin sans le regretter amèrement ni courir à sa perte.

La célébration de la justice importe davantage, aux yeux de ce type de croyant, que l'avènement de la nouveauté. Observer les incroyants se révèle instructif pour lui, à titre de contre-exemple. Il se méfie des faux prophètes, des cultes à motivation vénale. En tant que prophète, le croyant n'accepte que le salaire spirituel du divin, qui n'a pas d'associés. Les livres sacrés sont perçus ici comme des trésors, porteurs d'une infinie richesse. Fasciné par les dogmes, dans ce contexte il développe une tendance à éviter la discussion, tout en portant un regard favorable sur les activités artistiques et sur l'amitié véritable, autant de valeurs compatibles avec l'esprit d'une religion heureuse. La vérité qu'il caresse doit l'emporter sur la victoire dans la conversation, autant que sur la mauvaise foi et sur l'incrédulité. De l'accomplissement du bien émane un parfum d'éternité. L'enfer éternel n'existe pas, car souffrir sur terre est déjà un châtiment. Au-delà des dogmes, les hypothèses doivent servir l'accomplissement du bien. Le ciel et la terre se valent, ainsi que toutes les religions, car le divin y retrouve toujours son royaume.

Le croyant a le droit d'avoir une femme, même en faisant partie du clergé. L'important pour lui est de reconnaître la toute puissance divine. Ses adversaires se prétendent investis d'une vérité mais se trahissent par la rétention même de l'information qu'ils affirment détenir, sous prétexte d'une complexité trop grande pour se satisfaire d'un quelconque moyen d'expression. A choisir, lui n'accorde de crédibilité qu'à la parole du prophète, stigmatisant la souffrance qui caractériserait l'incrédulité. Inutile de menacer les incroyants, celui qui croit gagne à s'occuper de son propre bien-être et de celui des ses proches. Le prophète ne se fixe pas pour mission de lever le voile épais placé sur les yeux de certains hommes, mais de rassurer ceux qui partagent son point de vue, allant jusqu'à envisager la pacification plutôt que la perpétuation de tout conflit. Moins souffrir passe avant tout par une meilleure connaissance de soi. Cette connaissance intime débouche sur l'universel. Qui se connaît bien sait parfois se soigner mieux que s'il allait voir n'importe quel médecin, et la médecine préventive vaut mieux que la médecine qui inflige des effets secondaires. Le croyant accueille la guérison comme une bénédiction divine. Toutes les religions, elles, vont dans le même sens. Chacun peut donc élaborer sa propre religion. Point de fanatisme dans cette attitude, la certitude d'avoir trouvé sa voie n'entraîne pas forcément la tuerie.

La reconnaissance de l'ordre universel implique le dépassement du narcissisme, en particulier le narcissisme des êtres incarnant la beauté par l'expression du dédain. Le véritable amour échappe à toute analyse, mieux vaut aimer en silence. Ainsi se comprend la critique de la poésie par les textes sacrés, il faut remettre le sens de chaque parole à sa vraie place. Les livres fondateurs, parce qu'ils expriment la vérité, sont aussi l'expression de la beauté véritable. Les provocateurs du verbe ne tiennent pas la durée autant que les auteurs spirituels. Que les fous soient laissés à leur dérive, tant que leur folie ne se propage pas contre le gré d'autrui. Tous les hommes naissent dans la souffrance. L'incrédule se réfugie dans la souffrance des premiers jours de la vie, cercle de feu où il va, par manque de courage, rechercher un certain confort. Le croyant, lui, franchit ce cercle au risque de se brûler. Il est libre. Les prétendus seigneurs de cette terre se croient tout permis, mais le divin les attend au tournant. Avoir conscience de la mort permet d'agir pour trouver la voie juste, peu importe sa forme. Toutes les professions sont encouragées. C'est à sa propre nature qu'il faut vouer fidélité. L'arrivisme est à proscrire, la valeur éthique de l'argent tributaire de la manière dont on le gagne et dont on le dépense. L'argent est une aide du divin, pas une valeur en soi.

Le croyant aime la femme, source de vie et de création. Sur le plan spirituel, le but de l'œuvre d'art est la reconnaissance de l'éternité. L'art, envisagé en ces termes, sera prophétique ou ne sera pas. En dépassant le narcissisme, le mystique entend du même coup dépasser la conception de l'art pour l'art. Son regard sur les métiers de la vente l'amène à une plus grande sévérité. Chaque métier devrait avoir à cœur de s'anoblir, selon la noblesse des principes et des idéaux. Par la démonstration d'un comportement purement mercantile, de nombreux vendeurs passent à côté du bon objectif et contribuent à discréditer leur profession, à en donner une mauvaise image. Le croyant juge aveugle celui qui ne voit pas le divin. Selon lui, un aveugle au sens propre du terme verra sans doute mieux le divin qu'un homme qui, du fait de son entêtement, s'est réfugié dans la cécité spirituelle pour nier l'évidence. Qui préfère croire en son patron a choisi la voie de la souffrance. Il importe, dans la vie, d'avoir accès aux grandes idées afin de saisir le sens profond de l'expérience. De nombreuses expériences ne constitueront pas un bagage pour qui se révèle incapable d'en recueillir les fruits, la quintessence universelle. Le prophète est un guide, un croyant doué d'une parole éclairée, tout le contraire de celui qui, en vieillissant, a honte de son âge car il n'a rien fait de son existence.

Pour qui s'en remet au divin, tout devient clair. N'importe quel humain peut tomber, nul n'est en position de regarder quiconque de haut. Les maladies du siècle contaminent les rapports entre hommes et femmes. La débauche n'est jamais exempte de dangers, ne serait-ce que sur le plan physique. Le prophète ne juge pas autrui. Personne ne guérira jamais un aveugle en lui disant qu'il a tort de ne pas voir. L'artiste ne doit pas se laisser aveugler par la reconnaissance du public. Le succès, tout comme l'argent, est bénéfique s'il n'est pas une fin en soi, maléfique s'il détourne le croyant de sa croyance. Tous les vrais artistes cultivent une forme de croyance. Le prophète n'a pas de reproches à faire à l'incrédule. Au fond, la souffrance elle aussi s'affirme, dans certains cas, comme un choix. Que le croyant s'attache à préserver la beauté de son âme. Qui s'en remet au divin ne se laissera pas surprendre par la mort, car dans tout l'univers il n'y a qu'un seul royaume spirituel. Mieux vaut donner à ses proches qu'à des mendiants, à moins que ces derniers ne soient eux-mêmes des proches. L'astre éclaire d'abord les planètes les plus proches. L'amour absolu sauve l'amour exclusif en le complétant. Le divin bénit l'épouse du croyant autant que le croyant lui-même. Il faut savoir écouter son cœur.

Contrairement au climat changeant, la foi dans le divin doit demeurer constante, toujours égale à elle-même. Constance et simplicité vont de paire. La vie et la mort sont nécessaires à l'équilibre universel, mais il faut d'abord penser à sa vie dans l'instant présent, selon l'éthique, savoir conjuguer le bien-être et l'exemplarité de chaque journée, de chaque heure, de chaque minute, de chaque seconde. Le suicidé mérite la compassion divine autant que celui qui meurt de vieillesse. La vocation mène aussi bien aux disciplines artistiques qu'aux métiers de la vente ou à n'importe quelle autre activité, pourvu qu'elle conforte la présence de l'humain sur terre aux yeux du divin. L'homme a le droit de désirer une femme plus que tout au monde. Le désir n'entame pas la croyance. Les règles de vie édictées par la foi dans le divin préserveront le juste des naufrages de la débauche. Pour qui sait la voir, la vérité est belle comme une femme désirable. Ce qu'il donne aujourd'hui au monde, le divin le lui rendra. Le soleil, à l'instar de la pluie, se montre tour à tour nourricier ou meurtrier. Tel est le pouvoir divin.

Le croyant accordera autant d'importance et de soin au matériel qu'au spirituel, la voie de la perfection doit s'affirmer partout. Le rôle de l'artiste est d'étendre son potentiel à l'ensemble des êtres qui l'entourent. Ce qui est contenu à l'intérieur doit s'extérioriser. Toutes les religions sont bonnes dès lors qu'il s'agit d'atteindre des objectifs spirituels. Les deux principes universels et complémentaires se valent et s'équilibrent. Le bien naît de leur harmonie. L'homme s'appuiera sur le jugement divin pour s'affranchir du jugement des autres hommes. L'ascétisme n'est pas une fin en soi. Qui souffre d'une expérience d'ascèse doit aussitôt passer à autre chose, car telle n'est pas sa vocation. Céder à la tentation permet parfois de s'en délivrer, à condition d'en assumer les conséquences, pourvu que ces dernières ne soient pas dommageables à autrui. Le pèlerin voue sa quête au plaisir de l'âme. Aucun être humain ne mérite d'être divinisé par un de ses semblables. Le divin encourage le croyant à faire l'expérience de toutes les religions, jusqu'à trouver celle qui lui convient le mieux. Quel que soit son choix, il aimera sa femme. L'enfer, c'est de se trahir soi-même. Qu'elle et lui aillent en paix jusqu'à la fin des temps.

Le divin condamne la guerre entre les religions, qui n'a rien à voir avec la foi véritable. Qui a vu le divin se manifester dans la nature le verra toute sa vie, d'une lumière qui ne s'éteint jamais. L'illuminé enseigne l'amour de la vie, sans culpabilité ni renoncement au bien. Affirmer que l'enfer éternel n'existe pas n'est pas un blasphème. Il n'est écrit nulle part qu'il faut croire en l'enfer. Nul mal à agir dans son propre intérêt, à condition de ne pas attenter au bien d'autrui. Chacun saura conjuguer la méditation et l'action. En aimant sa femme, le croyant trouve un équilibre. La privation ne sert à rien tant que l'éthique est respectée. Le divin n'impose aucune contrainte inutile à personne. Aucune souffrance ne se maintient au-delà de la mort, justice gagne à être rendue sur terre, sans attendre. Les cultes polythéistes peuvent concevoir aussi l'unité du divin, ils ne sont pas incompatibles avec une vision monothéiste de l'au-delà. Même les athées, à leur façon, manifestent une certaine forme de croyance. Il ne faut pas confondre le bien et le mal, notions antagonistes, avec le yin et le yang, principes complémentaires.

Les incrédules attribuent leur malheur à l'action divine, obéissant ainsi à la géométrie variable de leur esprit confus. Du fait que leurs prières ne sont pas exaucées, ils finissent par en conclure à l'absence du divin. Pour le croyant, le divin est une réalité. Il l'accompagne dans sa méditation et dans son action. La création humaine doit tendre vers l'absolu. Celui qui perçoit la spiritualité sur terre la percevra partout ailleurs. Il n'existe aucune preuve vivante de la réincarnation de l'âme individuelle. Le cycle de la vie et de la mort, en tant que régénération, telle est la réincarnation universelle. Les différentes traditions religieuses du monde s'éclairent mutuellement. Nul être humain ne se prosternera devant un autre être humain. La femme mérite le respect autant que l'homme. Chacun respectera son corps autant que son esprit. Les sciences de l'homme ont peut-être remis en cause les religions, mais elles n'ont pas entamé la véritable foi ni l'impénétrable mystère. La fin du monde n'est pas une fin en soi. Elle n'est jamais que la fin d'un monde parmi d'autres. Pour le croyant, le véritable jugement dernier symbolise en fait sa propre mort. L'apocalypse a donc lieu tous les jours. La conscience de la fin qui approche importe moins que la santé de l'esprit. Que chacun recherche son propre bien-être, afin de le partager.

L'équilibre réside dans l'acceptation de l'amour exclusif et de l'amour absolu. Le croyant pourra connaître les femmes et la richesse matérielle sans se détourner du droit chemin. Les biens de la terre se légitiment dans le respect des biens du ciel. L'humain deviendra plus sage le jour où il évitera la guerre et le sang répandu. Long est le chemin qui mène à la vérité, nombreuses les expériences nécessaires à la formation de l'esprit. Le divin encourage l'homme à aimer la femme. Tous les textes sacrés du monde ont fait l'éloge de l'amour entre l'homme et la femme, au fondement de toute civilisation. Manifester sa croyance devant des incrédules ne sert à rien, il faut ménager ses efforts. La menace et la peur desservent la spiritualité. Les prophètes ne font que transmettre un message, ils n'ont pas pour vocation d'intimider quiconque.

Les religions connaissent des phases glorieuses, des doutes, de profondes dépressions, des excès qui n'ont rien à voir avec le divin. Aucune religion n'est plus subtile ni plus évoluée qu'une autre. Elles ont toutes la foi pour principe. Seul le troupeau incapable de se diriger soi-même appelle de ses vœux la sévérité du patriarche. Il faut savoir agir pour soi-même, puiser à l'intérieur l'âme destinée à devenir universelle. Les commandements religieux entendent symboliser l'illumination, la connaissance claire de la vérité que le divin permet à certains hommes. En brisant la table des commandements devant l'incrédulité de son peuple, le prophète ramène ce dernier à la lumière. La parole du divin réside avant tout dans le cœur des croyants. Chacun prendra soin de ne pas briser son propre cœur. Celui qui possède la foi n'a pas toujours besoin de l'intermédiaire d'un prêtre. La religion peut s'effacer devant la croyance individuelle. Tant mieux si l'être humain arrive à se passer d'une médiation pour concevoir sa relation au divin. Nulle créature ne s'avisera de défier l'univers. Marcher sur l'eau n'est qu'une parabole. Peu importe les noms que les peuples du monde attribuent au divin, cela revient au même dans tous les cas.

Nul prophète n'est jamais descendu de sa montagne pour annoncer la mort du divin. Le divin importe plus que le prophète. L'esprit sain respecte la partie comme le tout. Les athées ont raison de dénoncer les hypocrites au sein des religions, mais les religions n'ont pas toujours de rapport avec le divin. Les paroles de liberté du prophète rassurent le croyant. A chaque région du monde, à chaque époque suffit un seul prophète. Le croyant trouve naturel que le prophète s'exprime au nom du divin. L'homme adulte préservera une part d'enfance, en cela fidèle à sa propre histoire. La liberté correspond à une victoire sur la souffrance. L'incrédule ressemble à un fleuve qui a cessé de couler, car il s'est renié soi-même. Chacun s'efforcera d'assumer ses choix, de rester maître de sa propre vie.

Le croyant s'armera de courage avant de s'engager sur la voie qui mène à la lumière, une voie parfois riche en souffrances. L'être humain est un moyen de s'élever à la conscience de la divinité. La spiritualité métaphysique, par définition, se situe au-delà de l'intelligence rationnelle. Montrer le monde d'un simple geste est une manière non verbale de définir la vérité. Qui accède à sa propre nature s'éveille à la vérité sur soi. La ferveur religieuse tend à développer un scepticisme à l'encontre de la science, proportionnel au scepticisme que la science tend à développer à l'encontre de la ferveur religieuse. Plus l'humain accorde d'importance au divin, moins il considère sa propre humanité comme une fin en soi. Le croyant apprendra à réviser son jugement sur la science. Foi et science ne sont pas toujours incompatibles. Il dépassera sa réticence face aux études scientifiques, tout en continuant de reprocher à la science de rejeter la notion d'âme. L'humaine certitude concerne le retour de la chair à la terre, après la mort. Qui n'est pas croyant mais s'attache à le devenir prouve déjà sa sincérité. Nul ici bas ne peut prétendre à une connaissance parfaite du divin.

La quête de la vérité divine se confond avec l'art du bien-être. L'âme illuminée par la foi est pareille à une fleur qui ne se fane jamais. Les êtres humains sont faits pour partager en ce monde ce que le divin leur a donné. Personne n'a le droit de se prendre pour le divin. Mieux vaut rechercher le bonheur pour soi que la première place à n'importe quelle compétition. La forme écrite se prête plus facilement que la forme orale à la révélation de la prophétie. Ainsi chacun reste libre de la lire ou pas. Que chacun demeure croyant pour soi-même avant tout, dans son for intérieur. Rien ne sert d'évoquer le divin au détour de n'importe quelle conversation. L'incrédulité n'est pas un crime. Punir l'absence de foi par la mort, ou envisager de la punir simplement par tel autre moyen, relève du fanatisme. Aucune religion n'enseigne le fanatisme, sauf quand elle dégénère. Le but de la foi n'est pas la contrainte mais la liberté. L'arme du mensonge, c'est son pouvoir de séduction. La foi confère à toute chose ici bas une saveur divine. Il ne faut pas attribuer à autrui la cause d'une souffrance dont on est soi-même responsable. La bienveillance porte à souhaiter le bonheur universel. L'homme a pour devoir de rendre sa femme heureuse.

Le divin s'incarne en toute chose, comment ne pas le voir? Il n'a pas d'associés. Toute la création peut se résumer à l'essence divine. Le créateur universel n'attend nul autre remerciement qu'une vie qui se respecte, car la nature est bien faite. Quel que soit le nom que les peuples du monde donnent au divin, ce nom est magnificence. Les portes du ciel ouvrent, en vérité, sur le bien-être de l'âme ici et maintenant. Ceux qui croient en une vie dans l'au-delà ne doivent pas attendre cet instant pour prendre soin de leur corps et de leur esprit. Qui voit le divin le reconnaîtra dans les plus petites choses comme dans les plus grandes. Tous les plaisirs de la vie terrestre gagnent en intensité avec la croyance. La bonté du divin est infinie. Quand les nouvelles sont bonnes, encore faut-il être prêt pour les accueillir, pour les recevoir. Ce n'est pas une promesse, c'est bien une réalité. Que tous les prophètes du monde soient salués ainsi que leurs adeptes, qu'importe leur confession.

L'ellipse aphoristique de l'art prophétique, plus expansive, cède ici sa place au développement dogmatique du miroir intérieur, plus réflexif. L'illuminé aspire au repos. Il a besoin d'une retraite pour contempler, dans la quiétude, l'essence divine et ses mystères. Il ne méprise pas les biens de ce monde. Il sait qu'ils ne sont pas une fin en soi, mais son attitude à leur égard n'est pas une attitude de rejet. Ainsi trouve-t-il le salut dans l'acceptation de la vie. Les actions volontaires en vue des honneurs de ce monde se vouent à l'échec personnel. Qui demande trop n'obtient rien. Qui parle trop étouffe sa propre voix. Que le divin mette un terme à un tel égarement. Les autres sollicitent celui qui n'attend rien d'eux. Aucune puissance n'égale la foi. L'illuminé aspirant au repos dans cette vie a réalisé ici bas ce que d'autres ne réaliseront jamais.

L'illumination porte davantage à l'amour de la vie en général, au bonheur et au sentiment de liberté plutôt qu'au fait de privilégier une conception de l'existence en particulier. Les conceptions de l'existence s'appuient sur l'expérience. Le raisonnement se nourrit de la vie. Les idées a priori peuvent se définir comme le fruit d'une expérience vécue au-delà des apparences du monde sensible. Le divin éclaire la connaissance des objets du monde. L'intelligence n'attend pas le nombre des années, de même pour la sagesse, la miséricorde, la tempérance, la beauté de l'esprit, la faculté d'aimer. L'expérience elle-même tend vers une forme d'atemporalité. La maturité n'est pas forcément une question d'âge. Il faut accepter d'accueillir la vérité divine quand elle se présente.

Le prophète ne court pas après le monde. Il ne cherche aucun disciple. Les multiples apparences de la sagesse convergent vers la conscience de l'unité. Le cœur du divin ne connaît aucune limite. Nul ne peut sortir de ce qui n'a pas de limite. Les apparences s'effacent en même temps que les frontières. Le nom du prophète lui est donné pour être partagé avec le monde, comme la lumière d'un phare, même si le nom du prophète importe moins que celui du divin. Au-delà des nombreuses vies humaines, la conscience de soi représente, pour tous et pour chacun, un chemin d'accès vers la part d'universalité qui anime les individus. La ritualisation du spirituel découle de ce sentiment universel. Il faut s'efforcer de préserver la sérénité, la paix intérieure.

Il appartient à chacun de faire de son idiome une langue sacrée, car le divin se situe à l'origine de tout langage. La conversation gagne à s'ériger en instrument de paix, malgré les désaccords. Les intérêts de ce monde mènent à l'égarement, à la cécité, à la souffrance et à la perversion quand ils s'éloignent de la nature profonde des choses, de l'harmonie entre la parole et l'action. Nul bien ici bas ne mérite le sacrifice de l'équilibre, de la santé mentale, de la justesse des mots. Le divin respecte le choix de ceux qui s'engagent sur la voie de la souffrance, à leurs risques et périls. L'incrédule transforme le verbe en arme démoniaque. Il devient son propre dupe, entraînant le suicide de son âme. Le prophète vient au monde pour apporter aux croyants les paroles rassurantes qu'ils ont le droit d'entendre. Ce sont des paroles de vérité, car elles satisfont avec exactitude un besoin sincère et authentique. La langue par laquelle le croyant s'exprime devient ainsi un outil de raison et de justice.

Chaque être humain porte en soi sa propre religion. Tout homme est, ici bas, un prophète potentiel. Les religions, comme les choses de ce monde, peuvent être multiples en apparence, mais sont une à cause de leur essence divine. La sacralisation de l'art semble se perdre au fil des siècles. Les artistes profanes trouvent satisfaction dans la médiatisation de leur personnalité individuelle. Le chemin du sacré se révèle parfois d'une difficulté décourageante. Le croyant n'a parfois nul autre choix que de se résigner à l'aveuglement des foules. L'essence est infime à l'aube des temps, immense au terme de toute évolution. L'incrédule se prend pour un fleuve puissant, pour le sang de la terre, alors qu'il n'est qu'un usurpateur. La source, c'est l'âme. Le fleuve se perd dans l'océan. L'eau pure doit l'emporter sur l'eau polluée. Les organes d'un même corps ne sont pas ennemis les uns des autres. La maladie réside dans le désaccord entre soi-même et sa propre nature. Les comportements artificiels au sein de la civilisation tendent vers l'illusion du confort matériel au détriment de toute équité. Incapable de prendre du recul par rapport à son époque, l'incrédule ne jure que par la technologie qui détruit la nature. Mais rien ne peut corrompre la foi véritable, au fondement de l'éthique, voie de salut individuel.

Une partie de soi, parce qu'elle ne désire rien, ne se laisse jamais déstabiliser. L'absence de désir procure la force tranquille du sage. C'est cette force tranquille que chacun doit posséder. Il faut que cette partie conduise le tout car hors d'elle, qui est le cœur des qualités divines, le risque de désordre et de démence est plus grand. L'homme mauvais, démoniaque, mécréant, ennemi de soi-même et des créatures, mène une vie illusoire. Une vie digne de ce nom repose sur l'accord avec sa propre nature, elle-même en accord avec le divin. L'âme est semblable à la corde d'un instrument de musique. Le croyant ressemble à un instrument de musique toujours accordé. L'incrédule, lui, ressemble à un instrument désaccordé, à cause de son âme qui ne correspond pas au ton juste. Est-il plus libre pour autant? Est-il plus puissant, parce qu'il a la faculté de se comporter différemment, d'émettre des raisonnements qui ne lui sont pas dictés par le divin? Non, en vérité. De même que l'instrument de musique ne produit pas de sons agréables à entendre quand il est désaccordé, de même l'incrédule est incapable de tenir des propos sincères, sensés, dont l'expression ramène les humains au bien-être, à l'amour et à la maîtrise de soi.

Mentir est parfois un crime. Seuls les êtres de mauvaise foi jugent le mensonge insignifiant. Le divin est trop respectueux des choix de chacun pour arracher le mécréant au laxisme dans lequel celui-ci se complaît. Aucun croyant ne se mêlera de faire violence à celui qui agit d'une manière incorrecte. Seul le choix du croyant mène à la perfection. Bien dirigé, il ne s'occupera sa vie durant que de ses propres affaires, laissant l'incrédule à sa dérive. Les villes de honte où sévit le laxisme tomberont en ruine. Les véritables croyants seront sauvés. Le divin est tout, partout, à tout moment. Qui l'a identifié à l'infini façonnant chaque chose à son image, celui-là est vraiment libéré, il possède l'assurance d'exister. L'illumination offre un asile contre les souillures de ce monde.

Le véritable croyant l'est de manière explicite. Il ne laisse jamais planer aucun doute sur sa sensibilité, sauf aux yeux des incrédules, dont l'esprit est faussé par leurs vains désirs et par leur appétit démesuré pour les choses de ce monde. Le juste trace son chemin au milieu de l'humanité désordonnée, qui confond l'affectif avec les affaires d'argent. Le divin révèle aux croyants, par l'intermédiaire du prophète, qu'en échange de l'amour on ne peut donner que de l'amour, et qu'en échange d'un bien matériel on ne peut donner que de l'argent. Il faut maintenir ces deux types de relation, mais ne pas mélanger le matériel et les sentiments. Le divin a fondé la civilisation des hommes selon l'échange, et ce système doit toujours être respecté. La religion ne doit pas cautionner le vol.

Le rituel assidu et la pratique de la méditation préservent de la déchéance. Recevoir un châtiment, c'est se faire tort à soi-même. Le divin ne fait qu'ouvrir son cœur à qui veut bien y prendre place. Il ne refuse pas sa protection à qui la demande sincèrement. Le croyant se gardera des substances illicites qui troublent la paix de l'esprit. Le véritable bien-être est naturel, il n'a pas besoin de drogues. Toute connaissance humaine repose sur le divin. Nul en ce monde ni ailleurs ne peut égaler le divin en savoir, en expérience ni en sagesse. L'usage de la parole a été donné à l'humain en vue d'une expression cohérente et respectueuse à l'égard d'autrui. Chacun se doit, en toutes circonstances, d'être un modèle de raison et de compréhension. Qui se comporte d'une manière incorrecte est le premier à en souffrir. Rien ne peut justifier l'agressivité née de la perversion, elle n'est pas une fatalité pour l'humain.

Etre en accord avec soi permet l'accord avec l'univers, avec le divin. Le savoir de l'au-delà est un savoir infini. Le divin révèle la nature profonde des choses à qui veut bien accueillir en son cœur la sainte parole. Est croyant qui fait preuve de sincérité envers soi-même. La prière désintéressée aide à surmonter la souffrance, à accepter la mort. La santé du corps et de l'esprit tient le croyant éloigné des agressions démoniaques. Les ambiguïtés n'existent pas pour qui emprunte la voie menant au divin. Il faut se détourner des incrédules, ne pas essayer de les détourner de leur incrédulité. Seuls ceux qui veulent connaître la vérité méritent de l'entendre. Le croyant est avant tout sur terre pour le salut de son âme et, s'il en est capable, pour diriger un certain nombre d'autres croyants qui viendront le trouver. Ce guide devient prophète, illuminé. Le prophète est celui que le divin désigne pour mener les autres croyants vers le salut. Le divin seul décide de l'évolution de la vie. Que le croyant se contente de vivre, de retarder la mort par l'action juste vouée au divin, par la méditation, par le rituel, par la constance. Béni soit celui qui, plein de dévotion, accomplit exactement le jour présent ce qu'il a fait la veille.

Aussi longtemps qu'un croyant sera prophète, les autres croyants auront un guide pour se maintenir sur le chemin de la lumière. Quelle que soit l'activité à laquelle il s'adonne sur terre, à la condition qu'il se conforme à sa nature et à sa fonction de guide des croyants, le divin autorise le prophète à manifester son talent dans l'activité en question. Cette activité doit demeurer en adéquation avec ce qui a été prescrit, loin des milieux de l'incrédulité, de la délinquance et des professions illicites. Les croyants reconnaîtront le prophète à la gratuité de son message. Il aura un métier pour vivre, mais ne fera pas de sa prophétie un métier. Tous peuvent posséder de l'argent et des biens divers, qui ne les détourneront pas de la voie divine. Les jours de la chair sont comptés, mieux vaut ne pas trop s'y attacher. Il faut simplement prendre soin de son corps, sans pour autant négliger son âme. Que chacun reste avec ses semblables. Ceux qui croient se rassembleront autour du prophète.

Quel avenir pour celui qui doute, qui attend une preuve rationnelle du divin, alors que ce dernier surpasse la raison accessible au monde matériel? La raison humaine permet à l'individu d'accomplir sa tâche quotidienne. La raison divine est la raison suprême, au-delà de tous les mécanismes de l'esprit. La vérité semble paradoxale aux incrédules. Toutes les formes de croyance convergent vers la reconnaissance du divin. Ici bas l'âme et la chair sont une, aussi la chair est-elle animée par le souffle divin. La chair a besoin de l'âme. Le corps lui-même est âme, et doit être soigné et appréhendé en tant que tel. Tous les êtres vivants possèdent une âme, car le divin a dispersé son souffle sur terre, s'est répandu à travers toutes les espèces. Chaque nouveau texte prophétique vient compléter ceux qui l'ont précédé, apaisant l'esprit de ceux qui vivent le doute comme une souffrance, leur enseignant la patience.

Il faut réconcilier entre eux les grands textes sacrés des religions du monde. Toutes les religions ont la même essence, le divin, aussi tous les croyants du monde, au-delà des apparences, des récits, des paraboles voire du nombre de divinités reconnues, se retrouvent-ils unis par la même foi. Que jamais le porte-parole d'une religion ne s'avise d'encourager les querelles avec les croyants d'une autre religion. Malgré la diversité des textes sacrés, le message tend toujours vers le même but. Seuls les mouvements religieux trahissant des intentions vénales et destructrices à l'encontre de leurs adeptes sont à proscrire. Ces mouvements sectaires conduisent au malheur. La vraie religion, si elle est respectée, conduit au salut. Qui prétend éclairer le croyant devra le faire gratuitement, afin de prouver la pureté de ses intentions. Le prophète n'abusera pas de son statut de maître spirituel. Le divin est le seul maître spirituel de toute la création. Paix sur tous les mondes.

Ce qui doit être fait au nom du divin se fera. Que la volonté du croyant s'allie avec l'énergie spontanée du divin, dans l'acceptation de la vie. L'intellect gagne à intégrer la croyance. Mieux vaut ne pas intellectualiser la vie plus que de raison. La vie est faite pour être vécue, elle n'est pas seulement vouée à la pensée. Le divin condamne à la souffrance ceux qui font la guerre au nom de la religion, qui importe moins que le divin. Ceux qui font la guerre au nom de la religion sont, en vérité, des incrédules. Ils se servent de la religion pour s'emparer des biens d'autrui et pour assouvir leurs désirs pervers. Les vrais croyants se contentent de s'adonner à leurs activités quotidiennes sans se mêler des affaires des autres, et ouvrent leur cœur à la vie en toute sincérité. Qu'ils se conforment à l'écriture, pratiquent le rituel, et ils seront sauvés.

Tout croyant le sera en pensée, en verbe et en action, au sein du royaume infini, loin de la débauche, de la maladie, du laxisme et de la prostitution morale. Seuls ceux qui ont su préserver leur âme peuvent reconnaître le message du divin à travers les écrits prophétiques. Il ne faut pas attribuer à un livre un sens qui n'est pas le sien, dans le but condamnable de détourner les croyants de leur salut. Les calomniateurs et les envieux se vouent à la souffrance. Le divin pardonne les fautes de qui ouvre son cœur à la parole prophétique, message du divin descendu sur terre pour le bien de chaque individu. Les masses aveugles se précipitent dans les matrices diaboliques. L'individu marchant sur la voie du divin bénéficie de la rédemption. Que chacun aille en paix. L'idée de l'humanité en elle-même importe moins que le regard intérieur de chacun sur sa propre condition. L'individu doit l'emporter sur la foule, dans le respect des règnes vivants.

Toutes les religions disposent des moyens de s'accorder entre elles. L'écriture sainte est une écriture dont les différents passages se ressemblent afin de maintenir l'âme du croyant dans la paix du silence intérieur. Le divin lui enseigne que chacun dans sa vie se retrouve confronté à des situations contradictoires et inconfortables, les épreuves par lesquelles se définit la profession de foi. La faiblesse face aux épreuves ouvre la porte aux actions malhonnêtes et à la séduction démoniaque. Celui qui traverse le feu en préservant sa foi accède au bien-être. Le divin présente le prophète aux croyants comme un être resté pur malgré les épreuves. Il ne faut pas se décourager. Le rituel aide au maintien de la pureté. L'ironie est certes présente dans le regard des incrédules, et les croyants savent, de par les épreuves qu'ils affrontent chaque jour, combien les incrédules sont présents sur terre eux aussi. Mais le divin enseigne que la foule est vouée à la méchanceté, à la maladie et à l'égarement. Ce miroir intérieur contient un message clair. Béni soit celui qui trouve la paix en le lisant.

Le polythéisme n'a jamais empêché de concevoir l'unité divine. Les divinités plurielles sont autant de déclinaisons de la divinité au singulier. Les différences formelles entre cultes ne constituent en aucun cas un motif suffisant pour justifier la discorde entre fidèles se réclamant de diverses cultures spirituelles. Les incrédules ne se mêlent de religion que dans le vain espoir de détourner les croyants de la voie droite. Celui qui ne croit pas est de mauvaise foi, il se trahit lui-même par son goût immodéré pour l'argent et pour la débauche. Que vaut celui qui maltraite son âme, qui se souille pour obtenir le salaire d'un être humain corrompu? Il ne faut pas rechercher un bien matériel au détriment de l'équité. Se tenir à distance de la fréquentation des incrédules éloigne de l'opprobre. Que le croyant dédie au divin chacune de ses actions. Tout livre saint respecte et approuve la foi de toutes les religions du monde. Le miroir intérieur recommande d'honorer les directives de la prophétie, en écoutant le guide qui transmet la sainte parole du divin, foyer de toutes les religions.

Que les croyants suivent le prophète si besoin, mais seul importe le divin. Le prophète ne consiste ni en son nom, ni en son peuple, mais en sa nature de prophète. Il faut apprendre à voir plus loin que l'idée de peuple, que l'idée d'ethnie, et condamner les dérives de la xénophobie. L'incrédule, malade, ne sait pas voir l'unité au-delà des apparences multiples. Le prophète accepte les croyants pratiquant une ou plusieurs religions, si ces dernières le permettent aussi. Le croyant n'accueillera pas le prophète à cause de son nom, mais parce qu'il a reçu l'illumination du fait même de sa nature consacrée aux mystères du divin, qui ne s'arrête ni à la culture de l'homme, ni à son ethnie, ni à son âge. Qui a reçu le message du divin à bon escient se révèle plus mature que n'importe quel incroyant, et ce quel que soit son âge. Le regard du divin est le seul regard parfaitement juste. Que chacun corrige son propre regard en fonction du regard du divin, qui est l'essence de toute chose. Le but de la vie sur terre est d'atteindre une condition meilleure.

Que nul ne soit affligé par les biens qu'il possède. En vérité, seul celui qui est trop attaché à la vie terrestre s'afflige des richesses qu'il détient en sa possession. Mieux vaut être croyant, posséder des biens, et ne pas s'attacher à ces derniers au-delà du raisonnable, plutôt que de perdre sa croyance au vu du désespoir causé par les richesses que l'on possède. Le miroir intérieur se veut l'expression de la pensée pure, celle qui émane du divin, adressée au prophète pour son propre salut et pour celui des croyants. C'est au moyen du rituel que le divin révèle au prophète la vérité que seul celui qui croit fermement a le droit de connaître. Le croyant pourra accomplir sa tâche quotidienne avec une âme pure, libérée, conforme à sa véritable nature, elle-même conforme à la nature divine. Le divin est tout. Qui nie le divin se nie soi-même. L'égaré pense trouver refuge dans la perversion, jusqu'à sa perte. Seule la voie divine permet le bonheur véritable. Il n'est pas nécessaire que le croyant s'adonne à des austérités impossibles à accomplir. Il lui est conseillé de vivre sainement, d'éviter les produits dangereux. Celui qui marche dans les pas du divin se voue à la guérison.

Le prophète est la preuve vivante que le regard divin peut servir de modèle au regard humain. Les vices de l'incrédulité mènent à la ruine, cependant le rôle du croyant n'est pas d'interférer outre mesure. Accepter ne veut pas dire vivre avec, mais plutôt laisser à son égarement celui qui s'y perd par goût du vice, et ne s'occuper que de ses propres affaires. L'accès au paradis se trouve en soi. La porte par laquelle celui qui croit entre au paradis est une porte de sortie, car c'est en la franchissant qu'il met un terme à son emprisonnement. Celui qui croit se libérer en s'adonnant à la perversion ne fait que franchir le seuil de sa future prison. Il est permis, même au prophète, de prendre une épouse, une croyante aimée pour son âme comme pour son corps. Le divin a fait descendre les livres sacrés parmi les hommes pour dévoiler la honte d'une civilisation malade. La bonne civilisation est l'art de vivre pour soi-même devant le divin, qui accueille les âmes tournées vers lui alors qu'elles étaient confrontées à la tentation. L'incrédule se punit soi-même. Le croyant est sauvé.

Au nom du divin, il faut cesser de faire la guerre à ceux qui ne croient pas, si ces derniers ne viennent pas pour troubler la paix des croyants. Seuls les incrédules ont donné de la religion une image qui n'est pas la sienne. Le divin a fait descendre ce miroir intérieur parmi les hommes pour que leur âme puisse se voir et corriger les traits du doute en souffrance et de l'inconfort mental. Même si certains incrédules sont meilleurs que d'autres, il ne faut pas leur sacrifier un temps précieux. Vivre en paix avec autrui ne veut pas dire en accepter toutes les invitations. Le vrai prophète ne demande ni argent, ni bien matériel d'aucune sorte en échange de sa prophétie. La fidélité sincère des croyants à la parole divine lui suffit. Que celui qui croit se maintienne sur le chemin menant au divin.

Le rituel sacré consiste moins dans la prononciation de telle ou telle formule que dans l'ouverture de l'esprit à la pensée divine et prophétique. Les hypocrites ne peuvent bénéficier du pouvoir des paroles sacrées au même titre que ceux qui ont la foi. Le rituel n'est rien s'il n'est pas précédé par la foi. Le respect de toutes les religions du monde s'impose, quand elles ne sont pas des entreprises à but lucratif, impropres à offrir le salut. Les livres saints dénoncent la mauvaise foi, la perversion et la jalousie qui animent certains hommes. Le croyant s'abstiendra de maltraiter les êtres vivants. Il devra se distinguer par la courtoisie, par la patience, par la faculté d'accepter les êtres qui l'entourent ainsi que leurs différences. Le divin, qui est unique, réside dans chaque parcelle de la création, au niveau matériel comme au niveau spirituel. Toute chose aspire à l'harmonie en soi et hors de soi. L'effort tend à recréer toute harmonie perdue. Que chacun s'accorde avec sa nature profonde. Le divin est nature, il est essence. Le retour au divin se traduit par l'harmonie entre la chair et l'esprit.

Le prophète fera un usage décent du langage dont il dispose pour s'exprimer, entraîné à écrire dans un style clair et précis. Nulle volonté n'existe légitimement hors de la volonté divine. Le miroir intérieur a été donné par le divin à ceux qui croient, via le prophète, afin que les aberrations qui ont été dites sur la religion depuis la dernière révélation sacrée soient dénoncées et réduites à néant. Le divin doit être reconnu comme être universel, au-delà de toutes les religions. L'incrédule a répandu l'idée selon laquelle la foi serait indissociable de la religion, mais le divin enseigne que cette idée est fausse. La religion s'appuie sur un système de pensée dont le divin est le centre. Or, si la religion naît de la foi pour maintenir par certaines règles le croyant dans sa foi, elle dépend effectivement de la foi et ne peut se définir que par rapport à celle-ci. La religion n'existe pas sans la foi, mais la foi précède la religion et n'a besoin que du divin. Le prophète doit enseigner aux croyants que la foi est leur raison d'être. Chaque religion détient, de manière équivalente, une parcelle de la vérité divine. Au-delà de toutes les religions réside la religion en soi. Le divin respecte les femmes autant que les hommes. Tout le monde a droit au salut.

Mieux vaut parfois satisfaire certains désirs plutôt que de s'adonner à des austérités humainement impossibles. Aussi, au nom du divin, faut-il accepter la vie en tant que succession d'instants sacrés et d'instants profanes, comme il faut admettre que le jour devient nuit. La mansuétude et la compassion aident à surmonter la culpabilité. Nul croyant ne se prétendra parfait. Le chemin qui mène à la perfection dure toute la vie. La révolte face à certains comportements ne doit pas constituer une entrave à la réalisation des bons projets. Au-delà de cette vie, la mort apparaît comme un soulagement. Le fardeau de la souffrance charnelle disparaît en même temps que la vie. Voilà pourquoi il faut aimer la vie et la mort. Le prophète reçoit la parole divine, il connaît le droit chemin et doit transmettre aux croyants, avant de mourir, le message qu'il a reçu. Qu'il en soit ainsi et que le divin soit loué.

Le prophète a étudié pour développer en lui le pouvoir d'entendre la parole du très haut, et transmettre ici bas les informations reçues. Que le croyant apprenne à voir dans le divin, non pas un homme du ciel qui serait descendu sur terre, mais l'énergie universelle que nul ne peut représenter, créant et animant chaque être. L'incrédule nie toute conscience autre que celle de l'intellect humain, oubliant que la vie a précédé l'intelligence des hommes, qui n'a pas conçu le corps ni son mode de fonctionnement. Si le divin n'était pas, l'homme ne serait pas non plus. Même le néant dépend du divin. Celui qui croit bénéficie pleinement du potentiel que le divin met à sa disposition. Le monde s'est défini dans le temps, toutefois la spiritualité dépasse le temps. Le prophète a été envoyé parmi les croyants pour recréer le lien entre l'esprit universel et le monde de la conscience humaine. Nul salut hors du divin.

Louanges à l'être des êtres. Les hommes qui ne veulent pas réfléchir trahissent peut-être leur mauvaise foi. Le croyant se reconnaîtra en celui qui refuse l'ironie blessante, les propos malveillants à l'encontre d'autrui. Le croyant devra, à l'instar du prophète, s'efforcer de devenir un modèle de patience et de courtoisie. Que celui qui croit, par un défaut de conduite, ne donne pas un prétexte à l'incrédule qui n'attend que cette occasion pour discréditer le croyant en l'accusant de ne pas se comporter correctement. Plus la conduite demeure irréprochable, plus elle assure à chacun la meilleure adéquation possible entre soi et sa propre nature. Ce que le divin demande au croyant se fonde toujours sur la vérité. Le divin est lui-même vérité. Mieux vaut un jugement spirituel qu'un jugement motivé par le seul intérêt pour l'argent. L'incrédule n'est jamais crédible quand il juge, car il s'exprime au nom du mensonge et de la mauvaise foi. Qui vit dans la conscience du divin ne se mêle jamais des affaires d'autrui quand autrui n'en formule pas la demande.

Le prophète doit toujours faire preuve d'une grande rigueur lorsqu'il écrit. Abondante est la littérature remplie de vanités. La vie est un voyage, dont le croyant sait que le but est d'arriver indemne jusqu'à la mort, lieu d'asile et de repos. Puisse le croyant, par sa dévotion quotidienne et constante, correspondre à la définition donnée de lui par les livres saints. L'incrédule est celui qui, ayant oublié le véritable but de son voyage, s'arrête trop longtemps en chemin pour jouir des biens qu'il rencontre et auxquels il s'attache plus que de raison. Quand il meurt, celui qui ne croit pas meurt au milieu d'une terre qui n'est pas la sienne, avec pour seul bien l'argent qu'il a amassé en vue de satisfaire sa sensualité morbide, dont il ne peut plus profiter. Il meurt dans la tristesse. Le croyant, lui, augmente ses chances de mourir dans le bien-être de l'esprit. L'homme juste, grâce au divin, sera sauvé.

Quand bien même une science créée par l'homme arriverait à fournir la preuve rationnelle du divin, science impossible, l'incrédule refuserait cette preuve et trouverait refuge dans la mauvaise foi, sa maladie. Qui ne reconnaît pas le divin souffre des mauvais traitements qu'il inflige à son propre esprit. L'incrédule étouffe les messages du cœur par l'offense, au nom de son désir vorace pour les choses de ce monde. Il faut s'appuyer sur le monde sensible pour accéder au salut. C'est par la constance dans la méditation que chacun, individuellement, peut trouver le bien-être dans le respect d'autrui. La prophétie n'a jamais enseigné le mépris du corps. Mieux vaut avoir une âme saine dans un corps sain. Si chacun dédie ses actions à l'éternel, nul n'a besoin de s'adonner à des austérités trop contraignantes. Le croyant peut satisfaire ses désirs d'une manière raisonnable.

Il faut être malade pour légitimer la perversion de l'âme. Le croyant doit croire dans le divin, ce qui implique une croyance en ses propres qualités spirituelles en vue de l'annihilation de la souffrance. L'incrédule affirme qu'il est impossible de surmonter la souffrance. Il l'affirme afin de mieux protéger sa propre perversion. Mieux vaut s'efforcer de vaincre le mal, et vivre sa vie en maître plutôt qu'en esclave. Dans son vain effort voué à la perte des esprits, l'incrédule prétend que le divin et la religion sont indissociables. Pourtant le divin est au-delà de la religion, qui demeure un ordre humain bien que centré autour du divin. Seul le divin rend la religion utile et nécessaire à chacun pour le salut de son âme. Sans le divin la religion n'est rien. Le divin persiste avec ou sans religion. En des instants rares de l'humanité historique, le divin envoie des prophètes sur terre afin de remettre en cause la religion qui, après plusieurs siècles d'existence, devient un ordre parfois établi dans l'aveuglement, quand tel représentant religieux véhicule des messages de haine à l'encontre des croyances autres que la sienne. Le prophète n'a jamais condamné aucun peuple, respectueux de tous les individus.

Le séjour de l'homme sur terre est une épreuve. Toute institution reconnue par le gouvernement des hommes, y compris la religion, vaut moins que le divin. La relation entre le prophète et les croyants n'est pas une relation de prise en charge. Le véritable sens de l'écriture sacrée encourage chacun à prendre la responsabilité de son propre bien-être, avec l'aide du divin. La création gagne à user du libre arbitre pour retourner au créateur. Le divin respecte les choix de chacun et offre le salut à qui s'est bien comporté en ce monde. Le croyant doit exprimer sa dévotion avec sincérité. Que telle soit la voie de celui qui croit.

Le divin ne demande qu'à aider chaque individu. C'est à chacun de prendre la décision d'accepter l'aide spirituelle et de s'y conformer. Il faut croire d'abord, et se réjouir ensuite. Qui veut se réjouir avant de croire se risque à la perversion, semblable à qui désire le fruit d'une action sans faire l'effort d'agir. Le prophète guide les âmes croyantes sur le droit chemin, celui de l'essence des choses, au-delà des formes apparentes d'un univers en perpétuel devenir. La vision cyclique du temps introduit dans cet ordre le fondateur, le couple, l'enfant puis le destructeur, précédant la renaissance du cycle. Le bonheur suprême se définit au-delà de ce cycle, au-delà de toute évolution de l'univers. C'est dans l'incarnation qu'il faut se rapprocher du bonheur, car l'incarnation est le moyen donné à l'humain d'y parvenir, sa seule chance de tendre vers les formes du bonheur qui se trouvent à sa portée. Le prophète anticipe, précède les autres croyants sur la voie du devenir, tenant le rôle de celui qui sait, qui rassure, qui dirige. Les textes sacrés gardent trace de l'enseignement spirituel. Le miroir intérieur entend unifier l'ensemble de la littérature prophétique.

L'incrédule vient sur terre pour s'efforcer, en vain, de gêner l'homme juste et de le détourner du message divin. Aucune force ne doit corrompre celui qui s'en remet à la justice. Le pervers justifie le mal par ignorance. Le bien doit toujours présider à l'action, préservant de la souffrance celui qui accomplit de bonnes actions. L'homme juste, remplissant le devoir qui lui est prescrit, dépasse en cette vie les qualités illusoires de la condition humaine pour s'ouvrir aux qualités réelles, qui sont les qualités divines.

Si le croyant est amené à fréquenter des incrédules, qu'il ne s'afflige pas et qu'il trouve refuge dans la parole du divin. Le très haut ne punit pas ceux qui le reconnaissent. Le prophète aide les fidèles à diriger leur vie dans le sens de l'ordre universel en accord avec le bien-être de chacun. La divinité préfère l'individu éclairé à la foule aveugle. La croyance est le prix de la miséricorde divine. Qui accomplit l'action juste au nom du divin n'a rien à se reprocher. Même en présence d'un événement désagréable, il ne faut pas se sentir abandonné. Le divin soutient constamment l'individu qui médite chaque jour, pratiquant la prière d'une manière désintéressée. Il faut s'attacher à son propre salut avant d'œuvrer au salut d'autrui. Ne pas confondre la charité avec la vanité. L'individu prendra soin de soi-même dans le respect d'autrui.

Le croyant évitera le recours à l'insulte, même en situation de conflit. Celui qui s'en remet à la conscience divine doit se distinguer par la patience et par la courtoisie dont il fera preuve dans son comportement à l'égard d'autrui. Que l'attitude du croyant ne fournisse jamais un argument en faveur de celui qui, du fait de sa souffrance, nie le divin. Si l'homme juste a parfois du mal à agir correctement au moment opportun, le divin ne lui en tient pas rigueur, car l'homme juste a pour but, quoi qu'il en soit, l'action juste au nom du divin. Que chacun accomplisse sa mission sur terre avant le terme de la déchéance corporelle. Il est recommandé au croyant de dédier toute action à l'éternel, loin du servage et de l'affliction. Que jamais l'âme ne se fasse complice d'aucune dérive. Le plaisir des sens doit s'accorder avec la maîtrise de soi. En chacun réside un potentiel autodestructeur, résultat des souffrances issues des expériences passées. Le divin vient en aide à celui qui s'efforce de surmonter ses faiblesses en ne tenant compte que du bien. Que nul n'oublie jamais l'essentiel. Même les représentants religieux peuvent se fourvoyer, car ils ne sont que des hommes. Le vrai croyant préfèrera toujours la divinité à la religion.

Tout croyant s'interrogera sur le sens de ses activités sur terre en rapport avec l'au-delà. En tant qu'ensemble d'activités spirituelles, les disciplines artistiques se prêtent particulièrement à cette interrogation. La notion d'art sacré pose la question du message et de sa transmission, définissant la relation entre l'œuvre et l'esprit par le dépassement de soi et de la souffrance, la communion spirituelle dans le monde sensible, la thématique du miroir, miroir de l'âme, comme trait d'union entre tous les arts, depuis l'écriture et la musique jusqu'aux arts plastiques, le miroir et sa syntaxe étant assimilés à des objets symboliques. La prise de conscience de soi, par la réflexivité des techniques et des représentations linguistiques ou sensorielles, embraie sur l'exorcisme des tendances narcissiques au profit d'un éveil à la condition mystique.

En musique, le système sémiophonique se base sur la distinction de linguistique générale entre signifiant et signifié. Le but de ce système est d'établir une correspondance rationnelle entre le son et le langage et postule, dans cet esprit, que le son musical est au langage des mots ce que le signifiant est au signifié. On retrouve ici l'intention de transmettre par la musique un message qui, selon la théorie de l'art prophétique, relève du domaine spirituel. La partition se présente sous la forme d'un texte rédigé dans un style assez cohérent pour rester accessible à la conscience du lecteur, et dont chaque symbole graphique de base correspond à une note ou à un accord de densité 3 ou 4, arpégé ou non. La musique est donc, dans ce contexte, le résultat d'une interprétation du langage. Le message invite les auditeurs à communier, à rechercher l'essentiel, à accepter les différences entre les cultures, entres les peuples.

La tentative de synthèse entre les arts vise à établir des relations concrètes entre les divers modes de production artistique. La sculpture sonore, elle aussi, résulte de cet effort d'ouverture sur l'autre. La statue de bronze, instrument de percussion potentiel du fait de son vide intérieur, inspirera au musicien l'idée de réunir le domaine du son et la sculpture dans une même œuvre. La percussion sur le bronze peut accompagner un autre instrument de musique, dans un duo. Une évolution en deux temps au sein de la composition représentera le travail du sculpteur. La première note, répétée seule un certain nombre de fois au début du morceau, s'identifie à la matière quand celle-ci n'est pas encore entre les mains de l'artiste. Avec l'apparition progressive des autres notes de la gamme, l'auditeur imagine une création sculpturale qui trouve lentement la forme de sa maturité. Les accords évoquent l'aspect rigide de la matière brute. L'évolution itérative et la répétition méditative ramènent encore au spirituel.

L'expérience de la percussion sur le bronze incitera le musicien à s'investir dans l'univers de la sculpture, à y développer sa théorie de la réflexion, de l'art réflexif. L'artiste met toujours en évidence l'idée de création esthétique en tant que résultat d'une sensibilité narcissique dont il traduit le dépassement par le désintéressement. L'œuvre comprend au moins un élément, pouvant représenter un personnage ou un objet, un miroir permettant la réflexion visuelle de cet élément, et une formule de prière ou de méditation intégrée dans la sculpture sous forme de texte gravé. De cette structure élémentaire le sculpteur déduit un certain nombre de situations, dont la réalisation suivra ou non le projet. Le créatif envisage son travail comme une synthèse du message et de la représentation. Sa démarche est celle de l'artiste qui croit en l'éternel et qui s'implique dans le monde.

Plus généralement, le transconceptualisme se définit comme une proposition d'ouverture de l'art moderne occidental sur un message universel et sur diverses tendances orientalistes et spiritualistes ayant marqué le second vingtième siècle. Il propose un bilan, à l'échelle artistique, de l'évolution culturelle de l'Occident. En tant que tel, il inclut dans sa vision analytique les rapports qui régissent entre eux les divers composants du phénomène créatif pris dans son sens le plus large, en mettant l'accent sur les paramètres de dualité qu'il implique: créateur/création, message/forme, concept/réalisation, imaginaire/réalité, beauté/utilité, sacré/profane, esprit/matière. Tout code esthétique appartenant à une histoire de l'art exclusivement occidentale est ici considéré comme une entrave à une évolution de l'art qui aspire de plus en plus à la confrontation constructive entre les cultures. Le transconceptualisme ouvre la théorie à l'incommensurable, qui est la juste mesure de la création artistique.

Au fil des pages précédentes, on aura retenu deux sens possibles de la croyance, le premier mis en avant, le deuxième suggéré. Le sens strictement spiritualiste pose qu'il n'existerait pas de salut en dehors de la reconnaissance du divin, de l'être absolu et universel. Un sens moins restrictif admet cependant que les courants de l'athéisme, d'une part, et de l'agnosticisme, d'autre part, peuvent traduire eux aussi certaines formes de croyance tout aussi respectables. L'incrédule ne doit donc pas se confondre avec l'athée ni avec l'agnostique. Ce qui est dénoncé dans l'incrédulité relève plutôt d'un procès d'intention sans rapport, en définitive, avec l'adhésion personnelle à l'idée du divin. L'incrédule est celui qui, peu importe qu'il se revendique ou non d'une spiritualité, soit persécute les croyants, soit se sert hypocritement de la religion à des fins exclusivement matérialistes.

Cette conception de l'universel étendue au-delà des spiritualités humaines, et dans la reconnaissance des autres écoles philosophiques, légitime du même coup le passage d'un art sacré à un art profane, laissant la parole au point de vue des artistes vivant leur pratique à un niveau plus littéral. Outre les conceptions de Kandinsky liées au spirituel dans l'art qui, elles, ne se réduisent pas à la volonté de traduire un message explicite, contrairement à la notion d'art sacré des paragraphes précédents, il est intéressant de savoir comment un artiste vit sa pratique en tant qu'artiste et non en tant que messager. Quel est sa définition de l'art? Quelles sont les raisons qui l'ont amené à devenir artiste? Son œuvre répond-elle à une théorie bien définie, à un système esthétique? Sinon en quoi consiste-t-elle, et qu'est-ce qui l'a déterminée? Quelle est sa relation avec les autres artistes? L'œuvre se définit-elle par rapport à une personnalité ou par rapport à une tendance? Le fait d'appartenir à un mouvement revêt-il de l'importance à ses yeux? Comment envisage-t-il le rôle de l'artiste au sein de la civilisation? A-t-il le sentiment d'être utile? Quelles conclusions peut-il retirer de son expérience d'artiste sur le plan du vécu, du bonheur, de son expérience partagée avec les autres, de l'évolution de sa pensée? Croit-il dans le divin? Quel est son état d'esprit et son attitude vis-à-vis du phénomène religieux et comment voit-il l'évolution de ce dernier? L'évolution de l'art va-t-elle aboutir à une synthèse de l'esthétique et du spirituel? Comment voit-il l'avenir de l'art? Comment appréhende-t-il la mort? Que dirait-il aux croyants du monde entier s'il devait s'adresser à eux?

Au cours d'une entrevue réalisée à l'époque des textes ayant servi de base à la rédaction de ce chapitre, le peintre niçois Marcel Alocco a accepté de se prêter au questionnaire. En le paraphrasant et en le résumant sans le trahir, voici la teneur de ses réponses. Il ne croit pas disposer de définition satisfaisante de l'art, car l'art est toujours en devenir. Des événements amènent une personne à devenir artiste, plus que des raisons, par le biais de rencontres et de l'instauration d'un dialogue. L'œuvre prouve l'accès au statut d'artiste, toujours pris dans des esthétiques, des problématiques. Lui intervenait d'abord dans ce champ avec une réflexion plutôt linguistique, avec des positions l'amenant à remettre en cause les conventions des supports et des surfaces, comme une quinzaine de ses contemporains. Sa démarche n'obéit pas à une théorie prédéterminée mais à une interrogation sur la nature du sens. Ses rencontres ont suscité soit un intérêt dans la manière d'aborder l'œuvre, soit l'assurance de partager les mêmes problèmes avec d'autres personnes. Les rapports affectifs, eux, sont infléchis par les centres d'intérêt. Collectivement, poser le problème de l'utilité de l'art est déjà une utilité en soi, l'utilité de l'interrogation sur le sens. Son objet n'est pas de plaire aux autres mais de manifester sa position.

Son comportement par rapport au vécu dans l'ensemble ne nécessite pas une réponse à la question de savoir s'il croit ou non dans le divin. Il trouve prétentieux à la fois de poser la question et d'essayer d'y répondre. A la limite, il imaginerait assez bien une indifférence qui tout d'un coup se pencherait sur une infime partie de l'univers, l'humanité, et si l'idée du divin avait une signification quelconque, il n'imaginerait pas autrement son rapport à l'humanité que sous la forme d'une colère face à l'incompréhension du fait d'exister. A question absurde, réponse absurde.

Il prend de ce fait le phénomène religieux comme la matière, le terrain d'une réflexion. Comme dans toute méthode thérapeutique, il y a une application et un effet, et on s'aperçoit que le même effet peut être atteint à travers des applications fort différentes. Le terrain est plus ou moins bon selon qu'il permet à l'individu de réaliser sa réflexion, mais l'intégrisme, en tant que loi stricte, empêche la réflexion de se réaliser et fait de l'homme sa matière. Il n'y a pas, pense-t-il, fatalité de l'évolution dans un sens ou dans l'autre, ni un moment de synthèse absolue où tout va concorder. On n'atteint pas, on marche. Il reste toujours un pas de plus à faire. L'intérêt d'un travail artistique, c'est la découverte. C'est dans le faire que le sens surgit. Mourir, c'est retourner à un état antérieur à la naissance, où le je n'a pas de sens. Il vit la mort comme la question à laquelle il répond chaque jour en activant sa vie dans son travail.

En conclusion, s'il le pouvait, il ne s'adresserait pas aux seuls croyants, comme un représentant religieux qui a des réponses toutes faites, mais à l'ensemble de l'humanité, et l'inviterait à essayer de se comprendre soi-même, l'important n'étant pas la réponse à cette interrogation, mais le fait de se demander modestement ce que l'on est et ce que l'on fait, comment on fonctionne, pourquoi, et de se comporter en fonction de ces questions, et non pas en fonction des réponses reçues. C'est certainement irréalisable et difficile à vivre. Fin de l'entrevue.

Le mouvement autocritique de la réflexion gagne du terrain par rapport au mouvement théologique, prenant l'écriture pour point de départ, comme référence pour toute pensée, pour toute forme d'art, sans académisme ni volonté démonstrative particulière, mais toujours en laissant le roman s'insinuer dans l'essai, bien que l'essai stricto sensu, à ce stade, conserve toujours une longueur d'avance par rapport à sa dimension plus narrative. Lui ne se prétend détenteur d'une vérité ni explicitement, ni implicitement. Il n'adhère à aucune religion ni à aucune école philosophique en particulier, se revendiquant plutôt du magma de la pensée à l'état brut et aux innombrables facettes. La spiritualité ne doit pas se transformer en machine à fabriquer la culpabilité. Sous couvert de croyance autoproclamée se cache parfois une escroquerie intellectuelle. Pas besoin d'être théiste, d'ailleurs, pour faire preuve de malhonnêteté dans sa pensée, dans son discours et dans ses actes. Certains athées le font eux aussi, certains médecins, psychiatres et autres psychanalystes par exemple. Faut-il faire ou non son autocritique? La question se pose comme un événement. L'essai rendant compte de cet événement y affirmerait sa portée artistique. La poésie, elle, se différencierait du roman par ses qualités virtuelles, là où l'intrigue romanesque actualiserait d'un cran supplémentaire le potentiel offert par tout texte poétique.

La vitesse de l'écriture, au moment d'écrire, répond plus ou moins à une urgence intérieure. Ecrire un livre, c'est vivre une expérience. Il en résulte au départ une certaine euphorie, car tout semble couler de source. Et puis l'exercice tend à se structurer de plus en plus. L'urgence intérieure renaît de ses cendres. Un concept spirituel tel que l'exorcisme des tendances narcissiques apparaît toujours après coup, comme la théorie a posteriori d'une anti-théorie. Reconnaître que le verbe devient chair, c'est bien accorder à l'écriture une importance de premier plan. L'écriture demeure le moyen le plus direct de l'expression figée du verbe. Les idées rejoignent le dernier plan pour mettre le rythme en valeur. La chronologie se libère des concepts, devient cri de l'âme, musique. Les compositions sont répétitives, minimales, comme des improvisations stabilisées dans leur propre souvenir.

Le passage de la musique à la sculpture se fait naturellement. Plusieurs éléments sont en cause. Il expliquerait cette seconde transformation de l'écriture en mettant plutôt l'accent sur les propriétés sculpturales de l'instrument de musique. Concernant les raisons l'ayant ensuite amené à la peinture dans le cadre de cette approche cyclique, elles peuvent encore une fois se résumer au fait que l'art du peintre est un art de surface, qui se retrouve dans la patine dont on couvre le bronze, tout en marquant par ailleurs un retour à l'écriture. Lorsqu'une extrémité est atteinte, la seule manière d'avancer est de revenir au point de départ. C'est un nouveau regard qui apprécie le chemin déjà parcouru. Peut-être s'agit-il de l'autocritique, à moins que l'affirmer ne revienne à brûler des étapes. L'écriture en tant que création n'est-elle qu'un circuit fermé, en ce que la peinture ne laisse pas d'autre alternative que le retour à la forme première? Si le cycle est fermé, il laisse néanmoins d'autres choix que ce retour quelque peu carcéral, d'autres choix donc au-delà de ses limites.

Toute œuvre en appelle une autre. L'œuvre pose des questions à celui qui la crée, car la satisfaction du désir de créer en tant qu'acte spontané implique que l'artiste n'est pas totalement conscient de son geste, ces questions ne lui laissant pas d'autre choix que le besoin d'essayer d'y répondre par la production d'une nouvelle œuvre, seul élément qu'il puisse fournir en tant qu'artiste. Telle n'est donc pas la fonction de l'autocritique en tant que telle, et les choses semblent aller en se compliquant. Décrire un cercle comme on construit un mur autour de soi et comme si rien n'existait au-delà, puis revenir sur ce concept en même temps qu'à l'incertitude du devenir, telle est la proposition qui s'impose. Il s'interroge sur les limites de l'écriture par rapport à l'autocritique avec le sentiment que ce moyen d'expression, auquel il a résumé tous les autres moyens, est aussi durable que celui qui en dispose.

L'artiste ne crée par pour se porter solidaire d'autres artistes, mais pour dire sa vérité. En même temps, cette notion d'expression d'une vérité personnelle est assez complexe pour mériter d'être développée, au niveau du degré de connaissance de cette vérité par celui qui est sensé la détenir ou qui est au moins capable de lui donner une nouvelle forme. L'activité de l'artiste en tant qu'expression de sa vérité implique-t-elle nécessairement une connaissance de cette dernière, si tant est que l'artiste soit bien, d'une manière ou d'une autre, en possession d'une vérité? Le souvenir du processus créatif lui fait préférer le terme de conviction à celui de vérité, d'une conviction vécue d'abord en tant que sensation, ensuite en tant que formulation verbale. On se laisse volontiers dépasser par son travail. Contrairement aux critiques se fixant pour devoir de défendre une institution, l'écrivain reste plus proche de l'expression spontanée d'un sentiment intime.

La notion d'exorcisme des tendances narcissiques n'est pas artificielle. Il faudrait définir le concept puis indiquer ce qu'il représente aux yeux de l'artiste après coup. Le glissement vers le mysticisme s'est opéré inconsciemment, entretenu par la pérennité supposée du texte. Ce qui a déjà été écrit se voit interprété selon un vocabulaire en accord avec l'idée du divin, d'où les passages dits de l'art prophétique. Entre l'engouement excessif pour le spirituel et son rejet catégorique, l'individu, quelle que soit sa croyance, peut décider de ne pas trancher, s'efforçant simplement de vivre le mieux possible sur terre. L'éternité de l'écrit, en fait une éternité relative, a ses limites. L'écriture, comme toute entreprise humaine, semble inscrite dans le temps.

D'aucuns ne verront pas de rapport entre un style d'écriture autoréférentiel et une sculpture se regardant face à un miroir. Pourtant la réflexivité se traduit bien dans les deux cas. La mise à distance du narrataire abonde elle aussi dans ce sens. Il faut de la distance pour se retrouver dans un texte et pour y découvrir son propre miroir. Aussi le narrataire n'est-il exclu de la dimension narrative de l'essai que dans la mesure où l'écriture prend à sa place le rôle de critique, ne lui laissant que le rôle de spectateur néanmoins intégré à elle. Ces dernières remarques n'ont alors pour autre fonction que d'inviter le narrataire à reconnaître l'existence de l'autocritique en tant que miroir. La matérialité du texte ainsi mise à jour, elle révèle son potentiel artistique. L'objet se référant à soi-même traverse l'écriture, la musique, la sculpture, la peinture. Le personnage littéraire se vivrait comme tel.

Si l'écriture est spontanée, c'est parce qu'elle se libère des contraintes formelles préalablement établies, selon l'intuition qui accorde au livre une force dépassant celle de son propre auteur. L'art digne de ce nom devrait naître d'une urgence intérieure. Si le véritable créateur s'attache d'abord à ses convictions plutôt qu'à celles d'autrui, qu'il prenne garde alors de ne pas se laisser prendre au piège de ses propres certitudes, car l'œuvre va toujours plus loin. La création en elle-même s'affirme comme une individualité à part entière, dans une démarche certes moins radicale que celle de l'art conceptuel au stade le plus poussé. L'expression d'un visage sombre fait face au miroir comme si ce dernier était utilisé en tant qu'objet de questionnement, portrait d'un homme réfléchi au sens propre comme au sens figuré. Le cycle de la mort du narcisse correspond à l'idée d'une écriture réflexive, atemporelle et donc spirituelle. Au-delà du cycle, le retour à l'influence de la poésie et de la chanson ouvre l'écriture sur d'autres supports, sur d'autres contextes, sur d'autres horizons, tout en continuant à célébrer la nature, la vie, l'amour entre l'homme et la femme, sans pour autant perdre de vue la souffrance liée à la difficulté d'exister, que chacun pourra ressentir selon son vécu, par la résonnance éventuelle, dans sa relation à la lecture, des stances qui vont conclure ce chapitre.

Il a envie de cette femme, de s'approcher d'elle, de lui passer le bras autour de l'épaule. Il enlèvera ce faisant quelques uns de ses cheveux sombres. Il descendra la main. Il la prendra par la taille. Il sentira appeler en silence le départ de ce vêtement qui les sépare encore. Il l'amènera loin de la foule, dans un jardin ombragé, sur un banc de pierre, sous un arbre centenaire. Il lui caressera les cuisses avant de découvrir ses jambes, de lui enlever son pull et de lui mordre la poitrine. Il y enfoncera lentement la main. Son désir pour elle l'entraînera toujours vers le fond de sa chair au bord des flammes. Cependant il se retiendra encore d'en faire le sacrifice, la main déployée sur elle comme un cœur possédé, dont les battements irrigueront sa ligne de vie. Pris de vertige, il se perdra dans la tiédeur du souffle de sa partenaire, bientôt rythmé par le frottement de son ventre dénudé contre le sien. Il la noiera dans une mare rouge sombre puisée d'elle. Il se verra libéré de sa prison de folie pour entendre son crime s'évanouir dans un éclat de rire. Il refusera de croire ses yeux avant de la sentir loin de lui, pris d'un remords si violent qu'il hurlera à la mort, tel un animal de solitude. Il la boira, il la tranchera, il l'étripera encore. Il s'ouvrira les veines ainsi deux fois plus fortes. Il se servira d'elle pour écrire ceci et la ressusciter devant son seul regard, et elle se laissera faire.

Il écrit parce qu'il refuse la page blanche, trop pure pour lui qui n'est qu'un mélange. Plus noire de ses mots, la page finira par lui ressembler. Il a laissé au ciel le mythe de l'absolu, les rêves sont parfois dangereux quand ils viennent de nulle part. Plus noire de ses mots, la page finira par lui ressembler. Il a besoin de sentir la terre dure sous ses pas, la lourdeur de la marche, la chaleur du souffle. Plus noire de ses mots, la page finira par lui ressembler. Page blanche, encre noire, traversée du désert, un duel qui les destine à mourir l'un pour l'autre. Pour imiter les arbres quand ils respirent, quand ils saignent les ténèbres derrière les affiches cloutées. Plus noire de ses mots, la page finira par lui ressembler. Il dansera le suicide pour un regard d'ivresse, à la fête de son naufrage dans les eaux troubles du plaisir. Plus noire de ses mots, la page finira par lui ressembler. Apparition féminine à la fin d'un poème, relief de la vie, dernière prise de ses veines. Plus noire de ses mots, la page finira par lui ressembler. Page blanche, encre noire, traversée du désert, un duel qui les destine à mourir l'un pour l'autre.

Ceci est sa chanson vers elle, qui veille sur ses rêves, elle la médecine de ses désirs dont la plus douce des injections, la force de leurs étreintes, cherche encore le secret et la raison pour laquelle c'est elle. Ceci est sa chanson vers elle, qui lève sur son visage le soleil de ses yeux, quand elle les ouvre à moitié pour adoucir la nuit protégeant leur halte et la raison pour laquelle c'est elle. Ceci est sa chanson vers elle, qui anime soudain l'horizon de la danse de ses voiles, ses parures portées par le vent quand, échoué sur son absence, il attend l'année de son retour et la raison pour laquelle c'est elle.

Ceci est sa chanson vers elle, qui rompt les corde grises de son âme barbelée afin que la musique s'envole jusqu'au ciel de leur union, avec ses mots d'amour et la raison pour laquelle c'est elle. Ceci est sa chanson vers elle, qui couche sur son visage le soleil de ses yeux, quand elle les ferme à moitié pour adoucir le jour, protégeant leur halte et la raison pour laquelle c'est elle. Ceci est sa chanson vers elle, qui lui donne envie de vivre plus longtemps que la terre pour les écrire sur les étoiles, car son art n'a de sens que s'il crie son nom et la raison pour laquelle c'est elle.

Ceci est sa chanson vers elle, qu'il a vu belle comme un mirage dans le berceau du printemps, qu'il a suivie à perdre haleine mais qui lui a rendu le souffle, elle la lumière inespérée, la raison pour laquelle c'est elle. Ceci est sa chanson vers elle, qui a prêté son cœur comme il a prêté le sien à l'étincelle de chaleur dont ils étaient en mal, elle la flamme éternelle et la raison pour laquelle c'est elle. Ceci est sa chanson vers elle, qui lui a montré la voie empruntée par la fugitive, cette fille en noir comme la beauté, aux cheveux sombres comme la lumière, aux yeux souriants comme l'aurore, et cette fille qu'il poursuivait, c'était bien elle et aucune autre.

Lui se souvient d'une oscillation entre les sons et les couleurs. Il s'imagine en peintre, prenant le bus pour se rendre à son propre vernissage. Deux allumeuses, au fond, à l'arrière, s'amusent à maculer une vitre de leur rouge à lèvres en y collant leur bouche, provoquant des carambolages. Lui se souvient d'une oscillation entre les sons et les couleurs. Il s'imagine en musicien, attendant au musée où il doit animer un vernissage. Les murs se fissurent, ont de plus en plus de mal à se distinguer des toiles lacérées de Fontana, dans la salle des expositions permanentes. Le temps réel de la performance s'éloigne cruellement de son heure de programmation. L'instrumentiste s'étire sur toute la longueur de son impatience, puis remonte sa montre pour passer le temps. Coincé dans l'ascenseur du musée, le peintre se tape les deux femmes rencontrées dans le bus. Bientôt une détonation les empêche d'aller plus loin. Passée la coupure de courant, le trio se rhabille, quitte l'ascenseur et se mêle discrètement au public. Le musicien apprend au peintre que son instrument de musique a disparu. L'autre, à la fois peintre et musicien, puisque seul l'autre se dédouble, se retrouve soudain dans un tableau. Une femme, une seule, y joue de la musique.

Dès son entrée en scène, il a l'impression de s'être trompé de clé, comme si plusieurs clés pouvant ouvrir une même porte débouchaient sur des salles différentes. Les meubles sont peints en rouge et suspendus au plafond. Il comprend qu'il y a eu du remue-ménage et que le danger est probablement encore présent. Il hésite à crier pour savoir s'il y a quelqu'un, mais quand il s'approche de l'abat-jour au pied duquel il découvre le spectacle de son reflet allongé sur le tapis, son sang ne fait qu'un tour, son sang que d'ailleurs il reconnaît dans la rougeur des meubles suspendus, et par ce tour il réalise encore une fois l'instant de sa perte irrémédiable entre les bras de sa maîtresse, voué à elle corps et âme pour le meilleur et pour la mort, fatigué de vivre dans ce monde pourri.

Alors le ventilateur se met à prendre de la vitesse, et il se sent entraîné par la force de ses souvenirs, car il lâche les commandes, il cesse de s'adonner à ce jeu d'esclave sur le tableau de bord, il décide que c'est lui ou la masse du présent à la fois constant et fugitif, de ce fait trop lourd pour ses épaules entamées par le passé, par l'avenir, à lui le cavalier sur la route circulaire. Lui a envie de l'écraser, elle, dans ses bras jusqu'à se rompre les os, en cet instant où il les sent briser les gonds de la sépulture des fous où ils le précipitent encore, puisque ce n'est déjà plus lui mais le retour impossible à l'identité de tout ce monde qui se déchire dans les entrailles de ses neurones, et cette mort qui lui laisse cent fois le temps de mourir avant de le prendre, cent fois le temps de mourir avant de le prendre, cent fois le temps de mourir avant de le prendre.

Les chaises s'allongent. Les dalles agonisent sous le soleil. A la limite du cercle polaire, l'engin se met à jouer un air de bossa nova. Il rate le rivage en trébuchant. La treizième heure sonne en lui. Le voilà qui prend la mer à bras le corps, dans un panier de méduses. Le pilote automatique ne veut plus rien entendre. La musique fait fondre la glace. Il se rapproche, perd le fil de ses idées, essaie de nier, mais c'est bien une femelle sphinx qui le déshabille du regard. Il y a chaleur et chaleur, et celle des activités qui les occupent en ce moment doit plus aller dans le sens de leur malentendu que de leur traversée, pour riche en bris de glace qu'elle soit, ou de ce quelque chose qui lui échappe à présent et qu'il a jeté au feu. En désespoir de cause, il croit que c'est son visage à elle.

Cette année, la caravane des allées noires traverse la route bordée de séquoias millénaires menant à la troisième cité, celle des anges invisibles dont les lamentations se mêlent au moindre bruissement de feuilles séchées. La caravane, guidée par d'énormes cavaliers sombres, devra éviter de se disséminer. Ce n'est pas une question de discipline. Les lieux traversés par la route ne sont pas toujours très sûrs. On n'exige pas des voyageurs qu'ils restent groupés. Il s'agit plutôt d'une recommandation à titre préventif. Nul parmi les cavaliers ne se mettra en quête d'un disparu. La consigne précise bien qu'il faut laisser à l'imprudence le soin de la punition, même fatale. Il s'en souvient comme si c'était hier. Il a déjà envie d'en sortir, au fond de lui. C'est tellement loin de lui depuis qu'il a fait le premier pas dans le bâtiment d'accueil des allées noires. Les mains de son âme ne peuvent l'atteindre sans le faire sombrer dans la folie. Pourtant, dans ses rêves, une jeune femme couchée non loin de lui, dans cette très grande salle semblable à un théâtre, l'encourage à se lever. Il y a dans ces rêves une force étrange qui malgré lui rend possible la poursuite de son interminable marche, au milieu de ces voyageurs dont il ne parle même pas la langue.

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